Point de vue

Mobile Money, Big Data et Microcredit: quelle place pour les opérateurs télécoms ? [1/3]

ven. 08 juin 2018

Les opérateurs capitalisent sur le succès du Mobile Money pour lancer de nouveaux services financiers mobiles

Après avoir contribué à la démocratisation des comptes de Mobile Money dans les pays en développement (277 services lancés dans 92 pays, dont plus de la moitié en Afrique sub-saharienne [1]), les opérateurs télécoms cherchent aujourd’hui à s’étendre sur la chaîne de valeur des services financiers en proposant des solutions de crédit, d’épargne et d’assurance.

Sur leur route se dressent une multitude de banques, Fintech et autres institutions financières représentant autant de concurrents que de partenaires potentiels.

Tous veulent tirer profit de l’incroyable hausse des données d’usages mobiles et des capacités de calcul qui permettent de mieux évaluer la solvabilité d’individus jusqu’alors invisibles aux yeux des acteurs bancaires traditionnels.

Et chacun dispose d’atouts différents pour offrir une solution de crédit innovante, peu chère, rapide et accessible au plus grand nombre.

Afin de prendre en compte la diversification des fournisseurs de services Mobile Money ainsi que la transformation des solutions de crédit, le cadre règlementaire est en pleine évolution. Or, rien ne permet pour l’instant de dire qui profitera le plus de ce nouveau cadre.

Dans ce contexte, les opérateurs télécoms sont confrontés à plusieurs questions :

  • Comment le microcrédit s’inscrit-il dans le business actuel des services télécoms et de Mobile Money ?
  • Sur quels atouts les opérateurs peuvent-ils compter pour devenir des acteurs majeurs du crédit ?
  • Comment choisir entre une solution internalisée et une solution construite en partenariat ?

Le Mobile Money: premier pas réussis des opérateurs télécoms dans les services financiers

Au début des années 2000, les deux tiers de la population adulte mondiale ne disposaient pas d’un compte bancaire dans une institution financière classique [2]. Dix ans plus tard, les non-bancarisés représentaient encore la moitié de la population adulte mondiale soit 2,5 milliards de personnes. Or, si la plupart d’entre eux ne disposait pas des moyens leur permettant d’ouvrir un compte en banque, la quasi-totalité possédait un terminal mobile et avait accès à des services basiques de communication.

C’est sur cette base que les opérateurs télécoms sont parvenus à construire des solutions de portefeuille électronique sur mobile abordables et très largement accessibles. En effet, de 2010 à 2016, plus de deux cent services Mobile Money ont vu le jour et plus de 500 millions de comptes ont été créés [3].

En termes d’usages, un compte de Mobile Money permet de détenir et utiliser de l’argent sous forme électronique depuis un téléphone portable. Fin 2016, on dénombrait plus de 43 millions de transactions par jour, pour un montant total d’environ 750 millions de dollars³. Les utilisateurs :

  • s’échangent de l’argent (20% du volume des transactions / 69% de la valeur totale des transactions)
  • paient des factures (11% du volume / 13% de la valeur)
  • rechargent leur forfait mobile (61% du volume / 6% de la valeur)
  • règlent leurs courses chez un marchand (5% du volume / 5% de la valeur)
  • et, depuis plus récemment, peuvent envoyer de l’argent à l’étranger (0,1% du volume / 1% de la valeur).

Bien que les prémices du Mobile Money remontent au début des années 2000 aux Philippines, le symbole de son essor reste le service M-Pesa développé au Kenya par Safaricom. Fin 2008, ce fut le premier service de Mobile Money au monde à dépasser la marque des un million de clients actifs. Aujourd’hui, le service en compte dix-neuf fois plus. Cela signifie que près de deux adultes kényans sur trois avaient utilisé le service au moins une fois lors des 90 derniers jours.

Cette croissance exceptionnelle, qui plus est dans un pays relativement bancarisé [4], a prouvé la capacité des opérateurs télécoms à concurrencer les banques, poussant nombre d’entre eux à investir dans le Mobile Money. En 2014, on comptait plus d’adultes kenyans possédant un compte Mobile Money que d’adultes avec un compte en banque dans une institution financière classique (58% contre 55%). Désormais, c’est le cas dans une vingtaine de pays d’Afrique sub-saharienne [5]. Ce sont également 35 services qui ont à ce jour déjà dépassé la marque des un million de clients actifs.

En dix ans, les services classiques de mobile money décrits ci-dessus sont devenus de plus en plus matures à mesure que le pourcentage des transactions effectuées par les ménages via leur compte mobile s’accroissait. Deux des principaux enjeux de l’industrie sont désormais l’interopérabilité et l’internationalisation des services. Rendre possible le transfert de monnaie électronique entre des comptes de mobile money détenus chez des opérateurs distincts et / ou dans deux pays va considérablement promouvoir le développement des usages.

Cependant, au-delà de l’expansion géographique de leur service et celle de leur l’écosystème, les opérateurs de Mobile Money cherchent désormais aussi à compléter la gamme de services financiers qu’ils proposent.

C’est pourquoi, un certain nombre d’entre eux ont décidé de développer des services d’assurance, d’épargne et de crédit disponibles directement depuis leur plateforme. Bien au-delà du paiement, ces nouvelles solutions Mobile Money accompagnent les ménages dans la gestion des risques et chocs financiers qu’ils peuvent rencontrer. En 2016, on dénombrait déjà 106 services d’assurances (vie / santé / hôpital / accident), 26 services d’épargne et 52 solutions de crédit basés sur mobile.

Tout comme ils s’étaient appuyés sur les technologies mobile existantes pour développer leurs services de paiement et de transfert d’argent, les opérateurs de Mobile Money ont tiré profit des progrès technologiques récents autour de l’analyse de données pour révolutionner le crédit.

 

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[1] GSMA

[2] Banque Mondiale

[3] GSMA

[4] 42% adultes kenyans possédaient un compte en banque contre une moyenne de 24% en Afrique sub-saharienne en 2011.

[5] Chad, Ghana, Liberia, Burundi, Cameroun, RDC, Gabon, Guinée, Kenya, Lesotho, Madagascar, Rwanda, Swaziland, Tanzania, Ouganda, Zambie, Zimbabwe

 

Crédits : Victor Estrade et Benoit Ménard

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Benoît Menard

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