Point de vue

Mobile Money, Big Data et Microcrédit: quelle place pour les opérateurs télécoms ? [2/3]

mar. 14 août 2018

Dans un 1er article, j’avais évoqué comment les opérateurs mobiles se sont appuyés sur les technologies mobiles existantes et leurs atouts (notamment leurs réseaux d’agents) pour proposer des services de paiement et de transfert d’argent attractifs.

De la même façon, les opérateurs de Mobile Money ont tiré profit des progrès technologiques récents autour de l’analyse de données pour révolutionner le crédit.

Le Credit Scoring : un outil décuplé par le Big Data

Le credit scoring est une pratique aussi ancienne que le crédit. Elle consiste à évaluer le risque de défaillance de l’emprunteur. Pour déterminer la solvabilité des particuliers demandeurs de crédits, les banques ont traditionnellement recours à des informations personnelles socio économiques et à l’historique bancaire de ces derniers. Au regard notamment de leur passif, des transactions passées et des crédits attribués précédemment, elles décident ou non d’accorder un crédit et en détermine le coût pour l’emprunteur (taux d’intérêt).

L’avènement du big data [1], couplé à la hausse des capacités de calcul et au développement de nouveaux algorithmes, a largement transformé le credit scoring. De plus en plus, cette évaluation est réalisée à l’aide de logiciels intelligents qui analysent des milliers de données clients en un temps record. Le credit scoring devient ainsi plus rapide et plus précis. Encore faut-il détenir les données à analyser…

Les données mobiles des opérateurs, nouvelle source pour le credit scoring

Le problème de l’accès aux informations bancaires reste entier dans les pays en développement. En effet, un faible nombre d’adultes dispose d’un compte en banque et d’un riche historique bancaire. Afin d’évaluer la solvabilité de ces « invisibles », des sociétés innovantes ont conçu des méthodes de credit scoring alternatives. Plutôt que d’utiliser des informations socio économiques ou un historique de transactions financières, des entreprises comme Lenddo ou Tala ont décidé de recourir à des données d’usages mobile. Il s’agit de capitaliser sur les données telles que la durée et la localisation des appels, la fréquence des SMS, l’activité sur les réseaux sociaux ou le type de téléphone utilisé.

En regroupant des milliers de données de ce type, elles obtiennent un aperçu du quotidien de l’emprunteur potentiel. Ces données sont suffisantes pour estimer la probabilité ou non qu’il rembourse son crédit. Il est par exemple possible d’affirmer qu’une personne qui renseigne dans son répertoire mobile à la fois le nom et le prénom de plus de 40% de ses contacts, a de grande chance d’être solvable. Au fil des mois, les algorithmes utilisés sont perfectionnés au regard des prêts remboursés ou non. Le taux de défaut des crédits accordés selon cette méthode de scoring était initialement supérieur aux taux affichés par les banques. Il est aujourd’hui très similaire à ceux des banques et autres institutions financières traditionnelles (soit inférieur à 5%).

Le credit scoring à partir des données mobiles permet de développer l’offre de microcrédits dans les pays non bancarisés

Cette nouvelle forme de « credit scoring » est particulièrement prisée par les institutions de micro finance. Ces institutions sont très présentes auprès des populations non bancarisées dans les pays en développement. Elles se font parfois accompagner par des éditeurs de logiciels de credit scoring basés sur des techniques alternatives.

Des acteurs, comme Tala, ont choisi d’occuper une place beaucoup plus importante sur la chaîne du crédit. Il s’agit de gérer la partie scoring mais également l’attribution et le recouvrement des crédits. Tala (anciennement InVenture) est une fintech américaine basée en Californie aux Etats-Unis. Elle délivre des microcrédits au Kenya, en Tanzanie et aux Philippines.

Tala a développé une application smartphone du même nom lancée au Kenya en 2014. Cette app offre aux utilisateurs la possibilité de demander un micro-prêt. Pour ce faire, l’emprunteur doit accepter de donner accès à ses données d’usages mobiles et de communiquer certaines autres informations personnelles. Lorsqu’il est scoré solvable et en quelques minutes, il se voit attribuer un crédit. Ce crédit est sous forme de monnaie électronique remboursable depuis son téléphone. Le montant moyen des prêts accordés est de 50$ et le taux de défaut est supérieur à 90%.

Pour les emprunteurs, cette nouvelle forme de crédit facilite l’accès à des prêts plus importants

Deux ans après son lancement, Tala avait ainsi déjà accordé des microcrédits à plus de 150 000 personnes  pour un montant total de 20M$. La société apporte à ses clients de manière simple et rapide, un service auquel ils n’avaient pas accès. Au-delà du bénéfice direct du crédit, les emprunteurs construisent également un historique de micro-crédit. Cet historique leur permet par la suite, d’obtenir potentiellement des prêts plus importants.

Les opérateurs de mobile money rendent possibles le versement et le remboursement de microcrédits. Ces microcrédits sont réalisés sur les terminaux de leurs clients. Or, ils ont le potentiel pour jouer un rôle beaucoup plus important que celui de simples détenteurs du canal de distribution sur ce marché.

 

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[1] Entendu ici comme la possible consolidation d’un très grand nombre de données.

 

Crédits : Victor Estrade et Benoit Ménard

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Benoît Menard

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