La consolidation horizontale que l’on attendait sur le marché mobile français ne s’est finalement pas produite, c’est désormais entre les acteurs MVNO que la suite se joue...
Depuis l’arrivée de Free sur le marché mobile en 2011, la France compte quatre opérateurs (MNO) dont l’un subit presque toujours la croissance des autres : Il y a presque toujours un MNO qui cède des parts de marchés pour que les autres soient en croissance.
Cette nouvelle concurrence a notamment eu pour conséquence une guerre des prix qui ne faiblit pas depuis 10 ans et qui mène à une érosion des marges des opérateurs. Mais le marché mobile, bien avant l’arrivée de Free, était déjà en concurrence, depuis Avril 20051 et la décision de l’ARCEP d’imposer aux opérateurs le fait d’accueillir sur leurs réseaux des MVNO2.
Ainsi, dès 2006, étaient lancés entre autres Virgin Mobile, NRJ Mobile (Euro Information Telecom) et Coriolis ; tous trois rachetés respectivement en 2014 par SFR, en 2020 par Bouygues Telecom et en 2021 par Altice/SFR.
Depuis 2020, les acquisitions de MVNO se multiplient sur le marché dessinant un nouveau schéma de consolidation : Les MVNO atteignant une taille critique se voient-ils systématiquement en position de rachat ? La consolidation que l’on attendait sur les MNO se ferait-elle finalement sur les MVNO ?
Le marché des MVNO en France
Le marché MVNO reste relativement opaque et difficile à estimer. Néanmoins l’ARCEP publie régulièrement des observatoires sur les marchés fixes et mobiles qui apportent des éclairages sur ce marché. En l’occurrence, c’est l’observatoire Abonnés Mobiles qui apporte le plus de précisions.
Ainsi au deuxième trimestre 20211, l’ARCEP comptabilisait 6,8 millions de clients MVNO (VS 8,8 en Juin 2020) sur les 75 millions de clients mobiles hors M2M. En 2020, EIT était le plus gros MVNO Français avec 2,1 millions de lignes2 et La Poste Mobile était second avec 1,8 millions de clients. Hormis ces deux MVNOs, rares sont ceux qui communiquent sur le nombre de clients comme le font les opérateurs car ils n’ont pas d’obligation de communication.
L’ARCEP communique également la liste des MVNO1 et leur fournisseur de réseau, on remarque ainsi que les MVNE sont en majorité présents sur le réseau Orange, ainsi que les MVNO entreprises. SFR aurait un profil de clients plutôt Grand Public et Bouygues Telecom adressait jusqu’alors plutôt le marché communautaire. Le marché communautaire est représenté par les MVNO qui s’adressent spécifiquement à des cibles ethniques qui cherchent des tarifs attractifs vers les diasporas internationales.
SFR semble être le leader de ce marché domestique grâce à son MVNO La Poste Mobile avec le groupe La Poste en joint-venture (1,8 millions de clients).
Rachat en chaine et stratégies des MNO
En Juin 2020, Bouygues Telecom annonce racheter EIT pour 830 millions d’euros, captant ainsi plus de 2 millions de lignes et bouleversant le marché MVNO. Le marché MVNO n’avait pas connu de rachat aussi conséquent depuis le rachat de Virgin Mobile, premier MVNO Français à avoir atteint les 2 millions de clients, par Numéricâble-SFR en 2014.
Par ce rachat, Bouygues Telecom s’attaque au premier MVNO, présent sur les réseaux d’Orange, SFR & Bouygues Telecom, et adressant aussi bien sur le marché B2C, B2B et Wholesale. Cette acquisition permet à Bouygues Telecom d’intégrer le parc de clients d’EIT passant ainsi à 14,5 millions de clients et de dépasser Free et ses 13,3 millions de clients1.
Ce rachat a provoqué une contre-attaque très forte de SFR sur le marché MVNO. Altice (Maison mère de SFR) a racheté à quelques mois d’intervalles Afone, Prixtel et Coriolis, cumulant ainsi un parc de 1,6 millions de nouvelles lignes.
Contrairement à Bouygues Telecom, la stratégie d’Altice7 est de s’attaquer au marché MVNO afin d’en contrôler les rouages sur le marché Grand Public. En étant le fournisseur des plus gros MVNO grand publics (NRJ Mobile, giron EIT sortant du marché MVNO), SFR peut décider des tarifs retail des MVNO. Avec ce quasi monopôle, Altice peut panacher sa stratégie d’adressage clients sur le marché Français afin de faire cohabiter sa marque low cost RED, et les MVNO. En usant par ailleurs des avantages financiers qu’apportent les Joint-Venture, Altice peut ainsi optimiser ses coûts, sa fiscalité et les risques que le groupe partagera avec Leclerc ou La Poste par exemple.
De son côté, Bouygues Telecom ponctionne le marché MVNO pour alimenter son parc MNO et acquérir l’expertise d’EIT sur le marché MVNE/MVNA et les 60 clients MVNO supportés par EITavant le rachat : Bouygues Telecom a investi en EIT une nouvelle stratégie Wholesale en fondant Bouygues Telecom Business Distribution.
Free est le seul MNO français à ne pas être présent sur le marché MVNO. A date, Free n’a pas annoncé de partenariats avec des MVNO mais a racheté récemment Jaguar Networks qui se positionne sur le marché Entreprise. Le MNO vient d’annoncer sa volonté d’attaquer le marché Entreprise sur lequel il est très agressif. Tout laisse à croire que Free pourrait avoir la même attitude s’il se lançait sur le marché MVNO.
Orange n’est pas très actif dans cet élan de consolidation. On peut imaginer plusieurs raisons mais la première reste l’état de la concurrence. En effet, Orange étant le premier opérateur français, une volonté d’extension serait très fortement observée par l’ARCEP et l’Autorité de la concurrence. D’autres parts, Orange n’a pas la même nécessité que Bouygues ou Free de créer une compétence en tant que MVNE/MVNA.
Enfin, Orange, par son positionnement sur le marché MVNO entreprise n’a pas les mêmes problématiques qu’un SFR qui doit, via son positionnement Grand Public, être plus réactif et agressif8.
On peut enfin noter le rachat du MVNO Transatel par le japonais NTT en mars 20199, il n’intervient pas dans une logique de consolidation du marché français mais plus dans une optique d’acquisition d’un footprint européen et d’un savoir-faire.
Et ensuite ?
Avec ces différents rachats, la liste des MVNO français avec une taille critique se réduit considérablement. Les MVNO restants sont très spécialisés, on trouve :
- des MVNO Entreprises (Sewan, Alphalink…)
- des MVNO IoT comme Cubic et Truphone
- des MVNO communautaires : Lycamobile, Lebara, Syma Mobile et China Telecom.
Ils représentent environ 3 millions de lignes. Pour Orange et SFR qui pilotent aujourd’hui le duopole du marché entreprise en France, le rachat de MVNO entreprises semble délicat vis-à-vis du droit de la concurrence. En revanche, Free pourrait décider de rentrer dans le marché via cette approche mais aujourd’hui aucun mouvement n’a été repéré.
La consolidation verticale MNO-MVNO touche probablement à son terme avant l‘adressage de la long tail10 . On constate plutôt une consolidation horizontale MVNO-MVNO. Dernière consolidation horizontale en date, Adista et Unyc qui annoncent conjointement entrer en négociation exclusive, soutenus par Keensight Capital. Par le passé, Adista avait déjà acquis Waycom et Fingerprint.
Enfin, les MVNO continuent de grossir et d’acquérir des entreprises afin de se démarquer des MNO et de la concurrence MVNO. Sewan vient par exemple d’annoncer le rachat de l’entreprise spécialisée dans le cloud Ikoula11.
La consolidation horizontale que l’on attendait donc sur le marché MNO ne s’est finalement pas produite, néanmoins, c’est sur le marché MNVO que celle-ci accélère. Suite à une forte évolution verticale, c’est désormais entre les MVNO que la suite se joue. Encore nombreux sont ceux qui visent une croissance externe en intégrant des parcs de concurrents afin d’atteindre la taille critique nécessaire à une intégration verticale.
Définitions
MNO : Mobile Network Operator. Dans cet article, on désigne par MNO les 4 opérateurs Français : Orange France, SFR, Bouygues Télécom et Free.
MVNO : Mobile Virtual Network Operator. Ce sont des opérateurs déclarés auprès de l’ARCEP et qui font appel à un ou plusieurs MNO pour bénéficier de leur réseau afin de proposer des offres en leur nom propre.
On distingue plusieurs types de MVNO :
- Les MVNO light qui s’appuient sur l’ensemble des ressources techniques du MNO (accès radio, cœur, SI, liens), ils bénéficient des accords de roaming du MNO qui les héberge et ne payent pas les terminaisons d’appel
- Les MVNO Full qui utilisent leur propre cœur de réseau. Le Full MVNO jouit d’une plus grande liberté d’actions et peut ainsi se fournir auprès de plusieurs opérateurs différents sans avoir besoin de créer un autre MVNO. Contrairement au light MVNO, les full MVNO doivent passer leurs propres accords de roaming ou utiliser ceux d’un MNO via un contrat de sponsoring et payer sa terminaison d’appel.
- Les MVNE : Mobile Virtual Network Enabler. Ils proposent des solutions techniques et des services permettant à un MVNO de lancer une activité
- Les MVNA : Mobile Virtual Network Agregator. Ils se positionnent en tant qu’intermédiaires et fournissent expertise et connectivité.