Point de vue

Application et monétisation de la 5G : un changement de paradigme pour les opérateurs

dim. 26 févr. 2023

La 5G va générer, à travers de nouveaux services et cas d'utilisation, de nombreuses transformations disruptives visant la modernisation et l'efficacité opérationnelle.

Alors que la 5G NSA se déploie à grande échelle en Europe et au Moyen-Orient et que la 5G SA arrive, les opérateurs peinent encore à trouver le modèle de monétisation de cette nouvelle technologie et ce sur tous leurs marchés : BtoC, BtoB, wholesale. Ce sont les premiers cas d’usage de la 5G privée dans l’industrie 4.0 ou dans les smart cities qui indiquent le chemin. L’opérateur doit monter dans la chaine de valeur….

D’une démarche techno push à une démarche drivée par les usages

Jusqu’à la 4è génération mobile, tout était plus simple pour les opérateurs. La 3G portait la croissance des utilisations de l’internet mobile, la 4G l’explosion des usages data notamment vidéo et visioconférence. A chaque bascule, les opérateurs augmentaient le prix du forfait mobile pour valoriser le débit supplémentaire apporté par la nouvelle technologie. Les clients achetaient.

Avec la 5G, tout est différent. La montée en débit massive qu’elle offre ne rencontre pas les besoins des consommateurs du marché BtoC, toujours satisfaits de leur expérience 4G. Sur le marché du BtoB, les promesses sont attractives, notamment le slicing, le massive IoT, la smart city... Mais les cœurs de réseau 5G standalone ne sont pas encore déployés sur tous les territoires, notamment en France, Les multiples expérimentations réalisées depuis 4 ou 5 ans restent partielles. Elles se heurtent souvent à une limite technologique : certaines fonctionnalités ne sont pas encore disponibles, les terminaux existants ne sont pas compatibles 5G. Dans cet écosystème émergent, l’opérateur éprouve toujours des difficultés à évaluer la valeur que la 5G peut générer pour ses clients. Il cherche encore le modèle économique qui lui permettra de justifier et de rentabiliser des investissements lourds dans un réseau 5G SA. Dès lors, comment sortir de ce cercle vicieux ?

Des cas d’usages 5G déployés en mode privé par l’industrie 4.0

Les premières applications de la 5G déployée en mode privé sont sources d’inspiration. En France, en Allemagne, au Japon, de grands industriels de secteurs d’activité variés, se sont lancés dans le déploiement de la 5G. Pour aller vers l’industrie 4.0, ils ont remplacé les réseaux propriétaires (TEC, TETRA, Wifi) qu’ils avaient déployés sur leurs sites, de vastes domaines complexes ou des usines plus petites mais très automatisées, par de la 5G en mode privé ou hybride. Ils ont commencé par un cas d’usage qui répondait à un enjeu de performance fort et justifiait l’investissement. Ensuite ils se sont appuyés sur leur nouvelle plateforme 5G pour déployer d’autres usages :

  • Ainsi, un spécialiste de la gestion de l’énergie et des automatismes, a investi dans la 5G afin d’optimiser la maintenance en s’appuyant sur de la réalité augmentée : ses techniciens de maintenance peuvent désormais visualiser sur une application des données liées à des objets virtuels superposés (une machine, une ligne de production, l’usine tout entière) et intervenir en temps réel, ce qui réduit la durée d’arrêt des machines et les erreurs humaines. Ensuite, l’entreprise s’est appuyée sur un robot de télé-présence mobile connecté en 5G pour développer des visites à distance du site en très haute qualité vidéo et audio.
  • Des constructeurs automobiles allemands ou japonais qui utilisent beaucoup de robots automatiques, ont basculé en PMR 5G (réseau privé mobile) parce que le réseau Wifi sur lequel étaient connectés leurs AGV (automatique guided vehicule) arrivait en limite de performance. Par la suite, ils déployé d’autres usages : de la communication sur des terminaux entre des opérateurs et des visseuses ou autres machines connectées avec des données.

Des besoins focalisés sur des solutions d’usages clés en main

Par ailleurs, le mode d’expression des attentes des acteurs qui formulent des projets de déploiement 5G constitue un autre guide pour indiquer le chemin à suivre. Leurs demandes portent non pas sur des attentes technologiques, mais sur l’apport de solutions clés main orientées sur des cas d’usage très opérationnels. Deux exemples :

  • Dans la zone Moyen-Orient, un pays appréhende la 5G comme un puissant moteur de développement de smart cities, Sous réserve d’une garantie de couverture de ses villes en 5G, le Royaume souhaite mettre la nouvelle technologie au service d’un enjeu très pragmatique : rendre transparente et facile la gestion opérationnelle de la vie. A cet effet, la 5G doit répondre à plusieurs attentes concrètes et mesurables : améliorer la qualité de la gestion des comptes publics pour faire du Royaume une place financière fiable et attractive pour les investisseurs ; mieux orchestrer la gestion des ressources vitales (eau, énergie) et celle des mobilités et de la sécurité routière, dans un contexte de pénurie des ressources et de forte expansion des villes liée à l’explosion démographique ; être un support pour la promotion de la modernité du royaume.
  • En France, une grande ville appréhende la bascule à la 5G comme moyen de rationaliser et d’unifier une multitude de réseaux propriétaires très hétérogènes (TRETRA, Wifi, filaire…) rattachés à autant de contrats indépendants les uns des autres, sur la base d’une analyse fine de 80 cas d’usages concrets : sécurité, sûreté, computer vision, vidéo protection, développement de véhicules autonomes, IoT massif...

Des attentes sectorielles fortes

Les mêmes attentes opérationnelles s’expriment dans de nombreux secteurs d’activité et dans des verticales métier où diverses expérimentations sont en cours.
Dans le domaine du transport les cas d’usages visent à :

  • Accroître la sécurité du réseau. Alors que les réseaux TETRA de communication entre les agents de sécurité ou d’intervention ne font fonctionner que de la voix, un réseau PMR 5G ouvre l’accès à des fonctionnalités basées sur la vidéo ou la donnée qui améliorent significativement l’efficacité opérationnelle des agents. Quant au slicing, il permettra de prioriser les réseaux au regard des critères liés à la sécurisation.
  • Accompagner et aider les voyageurs confrontés à la disparition progressive des agents d’accueil en gare, mais en attente d’une présence humaine. Des transporteurs testent le développement de services 5G autour du guichet virtuel : via de la vidéo-chat en réalité mixte, une interface humaine aide le voyageur à modifier son billet ou le guide dans des lieux de transit.
  • Accélérer le développement de transports autonomes qui vont dans le sens de la décarbonation et d’une optimisation des coûts,dans tous les secteurs : route, ferroviaire,  fluvial et maritime, aérien…, Ainsi, la faible latence de la 5G fera émerger un nouveau modèle pour le secteur. Elle permettra aussi d’optimiser la gestion des lieux de transit (gares, aéroports, ports) et de développer de nouveaux services pour l’ensemble des utilisateurs et clients.

Dans l’industrie, les expérimentations sont ciblées sur les métiers de la production, de la maintenance, de la logistique. Les cas d’usages portent sur la mobilité des personnes en situation de travail, la maintenance mobile, l’optimisation de la sécurité de la maintenance dans la pratique gestuelle ; l’optimisation des process d’intervention, la sécurisation des données industrielles sensibles, le développement de la formation à distance autour de la réalité virtuelle.

Passer d’une logique d’opérateur à une logique d’intégrateur avec des solutions de bout-en-bout

L’analyse précédente le montre : pour basculer à la 5G, un acteur économique n’attend pas qu’on lui parle de performance technologique, Il veut avant tout qu’on lui parle de lui et qu’on adresse son besoin opérationnel métier. De même, un gouvernement ou un acteur de la ville n’attend pas qu’on lui parle de « smart » si préalablement l’on n’a pas pris en considération les besoins de la City et des citoyens. Donc pour monétiser la 5G sur le marché du BtoB, l’opérateur devra sortir de son rôle habituel : pénétrer les métiers de ses clients, avoir une compréhension fine de leurs chaines de valeur afin d’imaginer avec eux une solution spécifique et d’identifier la valeur qu’elle va générer pour le métier du client et pour lui-même, Or, construire un business model à partir d’offres spécifiques n’est pas dans l’ADN d’un opérateur télécom. Monter dans la chaine de valeur pour se rapprocher du client est pour lui un vrai changement de paradigme. Cependant c’est bien vers ce rôle d’intégrateur de services opérationnels et d’aménageur de territoires numériques que le Telco doit évoluer.

S’il veut porter la roadmap de digitalisation globale d’un client sur le marché de la 5G, l’opérateur devra entrer d’abord par un cas d’usages clés en mains qui a un vrai sens opérationnel pour le client parce qu’il accroît son efficacité opérationnelle et réduit ses coûts. Pour déterminer ces cas d’usages générateur de valeur pour le client et de business pour lui-même il pourra faire un benchmark des pratiques des marchés 5G SA matures, en Europe et aux Etats-Unis, où les opérateurs ont identifié, dans chaque secteur d’activité, 5 ou 10 offres. Puis, progressivement, l’opérateur pourra codévelopper avec le client d’autres cas d’usages. C’est à travers cette nouvelle intimité opérationnelle, qu’il parviendra à conduire la transformation digitale de son client.

Les Orange 5G Lab, un outil d’opérationnalisation de la 5G

Pour aider les acteurs de l’économie à donner vie à leurs projets 5G, Orange a déjà déployé 16 5G Lab dans 9 villes en France, en Europe (Anvers, Liège, Varsovie, Bucarest), en Afrique (Dakar, Abidjan) et au Moyen-Orient (Amann). Dans ces structures, les entreprises bénéficient du support des experts techniques, des réseaux et des produits d’Orange afin de co-construire et de tester rapidement rapidement, à l’échelle d’un lab, une solution 5G qu’ils ont imaginé pour leurs métiers. Ils peuvent s’appuyer sur les équipements 5G de demain (lunette de réalité augmentée, casques en réalité virtuelle, moteurs, terminaux 5G, modules 5G). Ces structures permettent aux entreprises de faire du test and learn sur des cas d’usage en allant jusqu’à l’évaluation économique de la solution et la validation de sa pertinence par rapport à la promesse.

Prendre en compte les limites d’un déploiement massif de la 5G

En dépit de ses promesses et vertus disruptives, l’architecture 5G ne sera jamais la solution universelle apte à remplacer l’ensemble des réseaux existants pour délivrer la totalité des services attendus.

Son déploiement massif rencontrera plusieurs limites à prendre en considération :

  • La 5G nécessitera davantage d’énergie dans un contexte de pénurie, accentuée par la guerre en Ukraine, et d’objectifs de frugalité pour tenir les engagements de décarbonation à horizon 2030. C’est un frein à la 5G dans les pays émergents encore peu électrifiés et non souverains sur la production d’électricité. C’est une contrainte nouvelle dans les pays développés où il va falloir apprendre à mieux compter.
  • Les difficultés d’approvisionnement de certains matériels, générées par la crise sanitaire liée au Covid-19, vont perdurer. La non-disponibilité des antennes, des capteurs, des processeurs, des terres rares, voire des ruptures de production sur la supply-chain, entraineront sans doute des retards de mise en œuvre de la 5G SA.
  • Si la 5G SA sera créatrice de valeur par sa capacité d’orchestration fine des dépenses et des process, elle conduira à toujours plus d’automatisation. Cette dynamique réduira les interventions humaines. Déjà des navires autonomes pilotés à distance naviguent sans équipage embarqué. Il conviendra de déterminer le seuil d’acceptabilité sociale d’une transformation disruptive qui pose la question de la transformation du travail, des métiers, des compétences.

En dépit de ces limites, la 5G va dans le sens de l’histoire : elle est là pour durer. Elle représente un premier pas vers des logiques économiques et d’action publique de plus en plus orchestrées. Elle génèrera, à travers de nouveaux services et cas d’usages, un grand nombre de transformations disruptives orientées vers la modernisation et l’efficacité opérationnelle. Elle conduira à un repositionnement de tous les acteurs de l’écosystème. C’est aussi une première brique qui ouvre plus massivement sur le monde de la data. Elle offre aux entreprises l’opportunité de commencer à embarquer la transformation de leur modèle opérationnel, de leur modèle économique et du développement de la data.

 

Jérôme BASSELER
Directeur commercial, Orange Consulting

Eric LUCAS
Directeur commercial, Orange Consulting

David KERNANEC
Manageur sénior, Division des ventes, Orange Consulting