Point de vue

Transition vers le cloud : Une vraie transformation culturelle

lun. 13 mai 2024

La softwarisation des réseaux engendre des défis en matière de gestion du changement et même de transformation culturelle au sein des organisations.

La softwarisation des réseaux est une révolution aussi disruptive que celle du passage à l’agile dans les projets IT il y a plus de 10 ans. Elle ne se limite pas à une évolution technologique majeure. Il s’agit d’un changement de paradigme qui pose des défis de transformation culturelle et de conduite du changement au sein des organisations.

Quelle est l’ampleur de la révolution RH liée à la cloudification des réseaux ?

La Telco cloud transformation est une révolution culturelle à plusieurs niveaux :

  • Elle modifie l’exercice des métiers du réseau. Dans les infrastructures traditionnelles, les équipes du réseau travaillent sur des équipements industriels (hardware et logiciels propriétaires). Des équipes souvent spécialisées par étape du cycle de vie des réseaux, développent, configurent puis supervisent et maintiennent les réseaux en phase d’exploitation. Avec l’intégration de logiciels IT jusqu’au coeur du réseau, ces activités se transforment et s’automatisent afin de mieux gérer la complexité des systèmes virtualisés. Les métiers de conception, déploiement et exploitation de réseau vont donc se rapprocher de plus en plus avec un rôle accru sur l’intégration des réseaux.
  • Elle conduit les équipes à s’adapter en continu aux évolutions du marché au plus près des besoins des clients. Les sauts technologiques, du GSM (2G) à la 5G, s’opèrent de plus en plus rapidement. L’agilité logicielle apportée par la virtualisation vient amplifier cette accélération. Elle conduira les équipes réseau à répondre en quasi temps réel aux besoins très évolutifs des clients alors que leurs mises à jour de fonctionnalités étaient scandées par des évolutions industrielles plus lentes et souvent loin du client. Désormais l’ingénieur réseau doit créer, développer et implanter les solutions attendues dans des délais courts et en intégrant l’expérience du client final au coeur de sa démarche, dans une approche BtoBtoC.
  • Elle bouleverse le fonctionnement interne qui passe d’un modèle vertical vers une approche plus horizontale, collaborative et agile. Traditionnellement, l’ingénieur réseau était spécialisé dans la gestion d’une partie de réseau. En travaillant sur des matériels plus standardisés, sur la livraison de fonctions réseaux à la demande, il doit aussi acquérir une vision de bout en bout des solutions fournies et de leurs usages client, ce qui le conduit à adopter une posture de collaboration avec d’autres équipes réseaux selon les méthodologies et outils du domaine de l’IT. On assiste ainsi à la confrontation de deux cultures : la formation académique, le corpus de compétences et même la pratique des métiers du réseau et de ceux de l’IT sont très différents. Par exemple, côté IT les développements applicatifs se font en mode agile sur des cycles très courts donnant un droit à l’erreur. Côté réseau, les investissements beaucoup plus lourds se décidaient au terme d’un cycle plus long. Ainsi, au-delà de l’impact de cette évolution sur les compétences technologiques, c’est un impact sur les modes de fonctionnement, la façon d’exécuter le travail qui est à considérer et ce pour les ingénieurs mais aussi pour les managers. Encadrer, animer une équipe qui se doit d’être ouverte, reconfigurable, en cycle court nécessite une adaptation du mode de management. L’impact compétences doit se regarder dans toute son acception, les RH doivent accompagner l’évolution vers le Telco cloud sur le savoir, le savoir faire et le savoir être et sur le plan individuel et collectif.

Quels sont les principaux défis à relever en matière de gestion des compétences et de recrutement de talents ?

Il est difficile d’identifier précisément les compétences sur lesquelles nous nous appuierons demain. Néanmoins des tendances de fonds se dégagent :

  • Les métiers du réseau resteront indispensables pour fabriquer une communication (data, voix, vidéo) de bout en bout, centrée sur l’expérience client, car la virtualisation ne fera pas disparaitre l’ensemble des composants matériels, logiciels et infrastructures et, à tout le moins, la conception d’un réseau devra être modélisée. Les métiers se transformeront pour s’adapter à de nouveaux modes opérationnels. Sans doute devront-ils maîtriser les langages informatiques et leurs interactions notamment dans un contexte plus fort d’automatisation en quasi temps réel
  • des réseaux (en s’appuyant sur de l’intelligence artificielle) et d’intégration de solutions réseaux (solutions à la demande, solutions interopérables avec des partenaires externes)
  • Les compétences IT vont monter en puissance sur la conception, la construction et l’exploitation d’un réseau cloudifié. Des enjeux d’upskilling voire de reskilling émergent pour développer des compétences cloud, big data, d’API et de développement logiciel pour les ingénieurs réseau historiques. Nos jeunes ingénieurs réseau sont de plus en plus formés à ces sujets. Au regard de cette migration vers l’IT ces profils de compétences deviendront très recherchés :
  • Les experts en cybersécurité parce qu’un réseau virtualisé est plus ouvert aux attaques, donc plus vulnérable qu’une infrastructure physique.
  • Les profils compétents en green IT (éco-conception et sobriété énergétique du réseau). Un opérateur comme Orange porte une attention particulière à l’empreinte environnementale de ses réseaux. Alors que le trafic croît de façon exponentielle, Orange entend se donner les moyens de maîtriser la consommation énergétique de son réseau cloudifié à toutes les étapes de sa fabrication et de son exploitation.
  • Les compétences d’agilité, la capacité d’adaptation, d’apprentissage et de travail collectif, itératif sont aussi des compétences qui s’imposent dans cette évolution pour pouvoir faire face aux attendus : cycle court, écoute client, transversalité, … le management est pleinement concerné par la nécessité de développer plus d’agilité.

Apprendre à faire du software sur un réseau historique très installé en garantissant sa sécurité et sa sobriété énergétique est, pour l’industrie des télécoms, un challenge majeur sur un marché de l’emploi tendu. Même si les écoles commencent à proposer des formations académiques aux métiers du cloud, les entreprises peinent à trouver les profils IT adaptés. Elles doivent fournir un effort de formation de leurs ressources internes au travers de programmes d’up-skill ou re-skill.
 

Comment les organisations peuvent-elles gérer, accompagner et réussir cette transformation ?

Les entreprises ont grand intérêt à dresser un état des lieux des métiers de leur réseau pour connaître le corpus de compétences et d’expertises dont elles disposent et savoir d’où elles partent. Nombre d’opérateurs, Orange en particulier, travaillent sur une cartographie précise de leurs compétences actuelles. C’est une tâche de longue haleine parce qu’elle porte sur une diversité de métiers intervenant sur une multiplicité d’aspects du réseau. C’est sur cette base qu’elles pourront construire le plan de formation adapté aux besoins technologiques. Il faut aussi garder en tête qu’acquérir une compétence devient de plus en plus un enjeu de mise en pratique et pas seulement de connaissances théoriques. C’est l’activité qui est le driver pour qu’une nouvelle compétence acquise puisse être mise appliquée immédiatement.

La mise en place d’un système de veille du marché de la softwarisation est aussi très importante. Face au foisonnement de nouveaux acteurs et d’opportunités d’innovation renouvelées dans un écosystème plus ouvert et malléable, il faut rester en éveil. Seul un environnement à l’écoute du marché permettra d’anticiper les évolutions, d’entretenir la capacité d’adaptation et de saisir la bonne proposition d’un candidat désireux de développer une compétence nouvelle chez un
opérateur.

Enfin, le développement du collaboratif est essentiel à l’heure de la plateformisation et de l’APIsation qui ouvrent le réseau aux briques logicielles de partenaires externes. C’est un réel changement d’approche et de culture. C’est le levier qui permettra de fabriquer une proposition de valeur différenciante sur le réseau.

En tant que DRH, comment accompagnez vous Sofrecom face à cette nouvelle rupture ?

Depuis de nombreuses années, Sofrecom accompagne les opérateurs dans l’anticipation des innovations technologiques pour les aider à mener à bien leur transformation technique, mais aussi organisationnelle et culturelle. Nos équipes ont une grande appétence à se positionner sur de nouveaux champs de compétences. Dans de nombreuses activités, les experts réseau de Sofrecom collaborent au quotidien avec ses experts IT. Nous nous appuyons sur ce gisement d’équipes mixtes assez modélisant pour être le partenaire privilégié de la migration des organisations vers le cloud. Et nous sommes déjà très engagés dans des modes de fonctionnement agiles et ouverts. Une palette d’outillages nous permet d’acculturer un collectif très large et de spécialiser des compétences sur des sujets pointus :

  • A travers le Programme Green ITN (Green IT for a Net Positive), nous avons sensibilisé l’ensemble des collaborateurs aux enjeux liés à la sobriété énergétique des réseaux. Puis, nous avons développé des programmes plus pointus adaptés
  • aux spécificités des métiers.
  • Nous menons la même démarche sur la transformation cloud avec une acculturation générale et des formations spécialisées (virtualisation du coeur de réseau…).
  • Nous favorisons le partage des compétences au sein de nos différentes entités à travers des Retour d’expérience de nos missions. Ce partage d’expériences élève le niveau de connaissance de l’écosystème de Sofrecom, génère des mises en relation et fait émerger de nouvelles solutions créatrices de valeur.
  • Nous faisons vivre le cercle Agile sur toutes nos géographies.
  • Au sein de Sofrecom, le client est toujours autour de la table et nous valorisons et développons tous les jours notre engagement et l’écoute de nos clients et partenaires.

Quel que soit le moment où un opérateur décide de migrer vers le cloud, son principal défi revient à toujours anticiper la maîtrise de la gestion de ses compétences et de ses talents. A défaut, il risque de perdre très vite la maîtrise de son réseau cloudifié.

 

Isild Launay Girard

Directrice des Ressources Humaines