
En externalisant la gestion de l'énergie à des entreprises spécialisées, les opérateurs réduisent leurs coûts d'exploitation et améliorent leur efficacité énergétique.
En 2022, pour la première fois depuis 10 ans, le nombre de personnes sans accès à l’électricité a augmenté, atteignant 685 millions d’individus, soit 10 millions de plus qu’en 2021. Crise de la dette, inflation and crise énergétique globale sont les principaux facteurs à l’origine de cette régression qui touche essentiellement le continent africain, freinant le développement économique et social ainsi que l’activité des entreprises dans les zones isolées.
En Afrique, les opérateurs télécoms évoluent déjà dans un environnement où les coûts d'exploitation sont élevés et les infrastructures énergétiques de réseau souvent absentes ou déficientes. Aujourd'hui, 29 des 54 pays africains ont un taux d’électrification inférieur à 60%. Par ailleurs, les réseaux de distribution électrique traditionnels ne pourront pas répondre à une demande croissante d’alimentation électrique des réseaux télécom (offre) ni d’alimentation des terminaux (demande)
Cet article explore, les défis de l’énergie, essentielle dans l’activité des opérateurs télécoms en Afrique, ainsi que des exemples de modèles technico-économiques innovants qui émergent pour y répondre.
Le pari du off-grid et des énergies renouvelables
La criticité de l’accès à l’électricité sur le continent africain pousse les acteurs du développement social et économique à privilégier des moyens alternatifs, « off-grid », c’est-à-dire non dépendants des infrastructures de réseau traditionnelles. Une simple lanterne solaire peut permettre à une personne habitant une zone non couverte par un réseau électrique d’utiliser un téléphone portable, d’avoir accès à des services digitaux et financiers, et potentiellement contribuer à l’économie locale. L’énergie solaire est ainsi désignée par la Banque Mondiale comme la manière la plus efficace d’atteindre les populations africaines ne bénéficiant pas d’accès à l’électricité. Cependant, au-delà de l’accès immédiat pour les communautés, se pose la question du passage à l’échelle nécessaire à toute activité économique d’ampleur.
Les opérateurs de télécommunications présents en Afrique sont confrontés à une inefficience énergétique certaine, consommant en moyenne 0,24 kWh par Go de données générées en Afrique contre 0,17 kWh au niveau mondial. Cette inefficience est notamment due à l’usage continu de technologies obsolètes et plus énergivores comme la 3G. De plus, les générateurs électriques - jusqu’à présent utilisés pour alimenter les stations de base en absence de réseau fiable – exposent les opérateurs à des fluctuations de prix dues à leur dépendance au diesel, rendant les coûts d'exploitation imprévisibles. La transition vers des sources d'énergie renouvelable est donc essentielle pour stabiliser ces coûts à long terme, mais cette transition se doit d’être pensée au sein de modèles économiques efficients et attractifs pour les investisseurs.
Des modèles économiques émergents
A la base, le modèle ESCO (Energy Service Company)
Le besoin primaire des opérateurs est celui d’électrifier les tours de télécommunications. En externalisant la gestion de l'énergie à des entreprises spécialisées, les opérateurs réduisent leurs coûts d'exploitation et améliorent leur efficacité énergétique. Les ESCOs sont donc nées de ce double besoin des opérateurs de de-capexiser et de trouver des solutions pérennes pour l'alimentation des tours dans les zones non ou mal desservies par le système de distribution traditionnel. Elles permettent également de compenser les volumes d’énergie consommés ailleurs dans le monde via des logiques de comptabilité que les entreprises effectuent sur un spectre international. Les ESCOs installent des systèmes d'énergie renouvelable, tels que des panneaux solaires, et garantissent un approvisionnement énergétique stable. Par ailleurs, elles permettent une réduction des émissions de carbone de 70 à 80 % en renouvelant les sites des opérateurs de réseaux mobiles.
Ce modèle se décline en différentes variantes selon les caractéristiques du site et les besoins de l’opérateur.
Modèle ABC (Anchor, Business, Community)
Le modèle ABC consiste à établir des mini-réseaux électriques (mini-grid) où les opérateurs télécoms servent de "clients ancrés". Cela permet de garantir une consommation stable d'énergie, rendant les projets économiquement viables. Ce modèle a été testé avec succès dans des pays comme Madagascar et la RDC, où les opérateurs collaborent avec des fournisseurs d'énergie pour alimenter non seulement leurs tours, mais également les communautés environnantes.
L'accès à une énergie fiable peut ainsi stimuler l'adoption des technologies numériques, tandis que l'expansion des services de connectivité dans des zones traditionnellement peu couvertes peut accroître la demande d'électricité, créant ainsi un modèle de desserte plus rentable pour les fournisseurs d'énergie.
Modèle de contrat d’achat d’électricité
L’opérateur télécom ou le fournisseur d'énergie déploie des fermes solaires connectées au réseau, gérées et opérées par l'ESCO. L'énergie générée est injectée dans le réseau du fournisseur national d'énergie, et l’opérateur télécom récupère l'énergie au bas de ses tours. Le MNO achète le terrain où se trouve la ferme solaire, puis le loue à l'ESCO qui fournit de l'énergie au MNO.
Pour être mis en œuvre, ce modèle nécessite un environnement réglementaire favorable pour le transport d'énergie et le comptage net (permettant la récupération de l'énergie injectée).
Modèle NaaSCo (Network as a Service Company)
Le modèle NaaSCo est une extension du modèle ESCO (certaines NaaSCOs étaient également des entreprises spécialisées dans l’installation de tours actives, ayant progressivement ajouté de l’électricité à leur offre) permettant aux opérateurs de sous-traiter l'ensemble de l'infrastructure de réseau à des entreprises qui gèrent la construction, l'exploitation et la maintenance des tours. Cela réduit les coûts d'investissement initiaux pour les opérateurs et permet une plus grande flexibilité dans le déploiement des réseaux, en particulier dans les zones rurales.
Les opérateurs de réseau ont exprimé un vif intérêt dans l’évolution du modèle ESCO vers un modèle NaasCO considérant la forte dépendance de la couverture télécom à la couverture énergétique.
Conclusion
Alors que l'accès à l'électricité demeure un obstacle pour des millions de personnes, des modèles innovants à l’initiative du secteur privé offrent des solutions prometteuses pour surmonter ces difficultés. En intégrant des sources d'énergie renouvelable et en adoptant des approches off-grid, les opérateurs télécoms peuvent non seulement améliorer leur efficacité énergétique, mais également contribuer au développement économique des communautés qu'ils desservent. La collaboration entre les acteurs du secteur et les décideurs politiques sera cruciale pour créer un environnement favorable à l'implémentation de ces modèles, permettant ainsi de transformer les défis énergétiques en leviers de croissance durable.
1Progress on basic energy access reverses for first time in a decade, World Health Organization, publié en ligne le 12 juin 2024
2Tracking SDG 7 | Progress Towards Sustainable Energy, The Energy Progress Report, 2023, publication conjointe IEA/IRENA/UNSD/World Bank/WHO
3Off-grid Solar Could Provide First-time Electricity Access to Almost 400 Million People Globally by 2030, World Bank, publié en ligne le 8 octobre 2024
4Rural renewal: telcos and sustainable energy in Africa”, GSMA Intelligence, novembre 2024
5Rural renewal: telcos and sustainable energy in Africa”, GSMA Intelligence, novembre 2024