Point de vue

Services financiers mobiles : développer les usages grâce à l’interopérabilité

jeu. 24 mai 2018

S’il semble aujourd’hui difficile d’imaginer des réseaux de télécommunications totalement dépourvus d’interconnexion à d’autres réseaux nationaux ou internationaux, rares sont encore les services de mobile money qui offrent une interopérabilité avec d’autres services de mobile money. Seuls quinze pays accueillaient, fin 2016, des services domestiques de transferts d’argent inter-réseaux via mobile money. La plupart des banques offre pourtant la possibilité de réaliser des opérations interbancaires.

Enjeux et freins à l’interopérabilité

Dans un contexte où nombre de services n’ont pas atteint l’échelle, les opérateurs de mobile money se montrent en effet réticents à rendre leurs services interopérables. En ouvrant l’accès à leur propre base d’utilisateurs et de partenaires, certains craignent de perdre des parts de marché. Ils craignent également de devoir partager, avec d’autres acteurs, des revenus qui sont captifs tant que les usages demeurent cantonnés à leur propre réseau.

Pourtant, l’interopérabilité constitue un puissant levier de croissance. En ouvrant les « boucles » mobile money, les opérateurs ont l’opportunité de renforcer sensiblement l’attractivité de leurs offres.

En premier lieu, les opérateurs de services financiers mobiles ont la faculté d’interopérer avec des services de même nature. C’est l’interopérabilité entendue au sens strict. Elle permet aux utilisateurs d’un réseau d’interagir avec les utilisateurs d’un autre réseau de mobile money. Elle favorise notamment la réalisation de transferts d’argent inter-réseaux. Ce type d’interopérabilité a été déployé en Indonésie, en Tanzanie ou en Jordanie. Certains acteurs interopèrent également à l’échelle internationale. En 2013, Orange a lancé entre ses opérations de Côte d’Ivoire, du Mali et du Sénégal un service de transfert d’argent international via Orange Money. Dès son lancement, ce service a rencontré un succès significatif.

Au-delà, les services de mobile money peuvent interagir avec d’autres types de services ou de réseaux. Dans cette définition large de l’interopérabilité, les combinaisons sont riches. Elles ouvrent la voie à une diversification à grande échelle des usages des services financiers mobiles.

A la conquête de nouveaux usages mobile money

Systèmes et réseaux bancaires

En se connectant à des réseaux bancaires, les opérateurs peuvent proposer des transferts entre comptes bancaires et comptes mobile money. Fin 2016, plus de 40% des services mobile money étaient déjà connectés à une banque. Ces services offrent aux utilisateurs la possibilité d’échanger des fonds avec des utilisateurs bancarisés. Ils sont également susceptibles de favoriser le recrutement de nouveaux utilisateurs bancarisés. Ces utilisateurs adosseraient à leur compte bancaire un compte de mobile money pour bénéficier des avantages offerts par ce service (paiement de factures simplifié, bonus crédit téléphonique…)

Au-delà, les services financiers mobiles peuvent être connectés à des infrastructures interbancaires. Dans cette configuration, les utilisateurs de mobile money peuvent accéder à des services tes que le retrait à des distributeurs automatiques de billets, l’usage de cartes de débit ou de crédit associées aux comptes mobile money ou encore l’accès à des réseaux de paiement marchand nationaux.

Services de transfert d’argent

L’interopérabilité avec ce type de plateformes permet d’émettre ou de recevoir des fonds via les « terminaisons » (points de vente physique, portails web…) d’opérateurs de transfert d’argent. Ainsi, les utilisateurs d’un service de mobile money peuvent réaliser des transferts avec des correspondants qui ne pourraient ou ne souhaiteraient souscrire à ce même service. Surtout, ces dispositifs permettent des transferts depuis ou vers des zones dans lesquelles l’opérateur ne serait pas présent. Ils facilitent ainsi l’établissement et la démultiplication de corridors de transfert internationaux.

Services publics

L’interopérabilité est également susceptible de développer les transactions financières réalisées avec des acteurs publics. Pour les autorités, c’est l’opportunité de renforcer la qualité des services publics. D’une part en optimisant la traçabilité des transactions, d’autre part en optimisant l’expérience « client » des administrés. En effet les paiements mobiles permettent notamment de délivrer « à distance » certaines prestations (ex. : versement de pensions, paiement de redevances…) qui nécessitent encore dans de nombreuses régions de se rendre à un guichet de paiement, d’y patienter dans une file d’attente, de payer les frais induits par ce déplacement…etc…

Ouvrir le paiement marchand grâce à l’interopérabilité

Systèmes et réseaux marchands

En interconnectant leurs plateformes avec des systèmes marchands, les opérateurs peuvent permettre aux utilisateurs de régler leurs achats via mobile money. C’est le domaine dans lequel l’interopérabilité semble la plus prometteuse. Le CGAP considère ainsi « que les vrais volumes résident dans les paiements du quotidien ». Pourtant la part de transactions marchandes encore susceptibles d’être digitalisées reste élevée. En 2016, un utilisateur mobile money type réalisait en moyenne moins d’un paiement marchand par mois, contre plus de quatre actes d’achat de crédit téléphonique.

Dans plusieurs pays, les opérateurs sont parvenus à déployer des accords avec des réseaux de distribution de carburant, de supermarchés ou de taxis. Le paiement marchand via mobile money s’avère en outre particulièrement pertinent pour des biens dématérialisés, qui peuvent être achetés « à distance », tels que gaming, musique, vidéo, e-books… C’est non seulement le cas localement, mais également auprès de marchands situés à l’étranger. Ainsi les achats sur certaines plateformes (Apple store, Google Play…) pourraient alors devenir accessibles.

En outre, les services financiers mobiles constituent une opportunité majeure de développer le commerce en ligne de biens physiques. Si les e-commerçants s’appuient actuellement sur le paiement en espèces à la livraison dans les marchés émergents, l’interopérabilité de leurs systèmes marchands avec des services mobile money permettrait de prépayer les achats. Ils réduiraient ainsi les risques et les coûts opérationnels liés au management du cash.

Au-delà de l’opération directe avec des systèmes marchands, l’interopérabilité permet aussi d’accéder à des réseaux de paiement marchand. C’est le cas de réseaux tels que MasterPass ou de réseaux constitués localement par des fournisseurs de services de paiement. Ce type de dispositif présente de réels avantages. Il ouvre aux opérateurs de services financiers mobiles l’accès à des marchands qui ne disposent pas des capacités requises pour développer leur propre système d’information marchand ou pour l’interconnecter à la plateforme de mobile money. Surtout, il évite aux opérateurs les investissements requis pour constituer et animer ces réseaux de marchands. Le « business development » est en effet assuré par l’acteur qui offre l’accès à son réseau.

L’interopérabilité est susceptible de démultiplier les usages du mobile money. Dans les géographies où la bancarisation reste marginale et qui constituent les marchés de prédilection du mobile money, . Elle constitue un puissant accélérateur en favorisant le recrutement de nouveaux utilisateurs et l’intensification des usages. Elle contribue ainsi au global à améliorer la rentabilité des services de mobile money.

 

 

 

Sources : GSMA, CGAP

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Sylvain Morlière

Principal, Head of Mobile Financial Services