Au début de l’année 2019, l’ARCEP a ouvert en France un guichet « pilotes 5G » permettant aux futurs opérateurs de la nouvelle génération mobile ’ouvrir des sites radio d’expérimentation 5G émettant sur les fréquences 3,5 GHz et 26 GHz. Alors que la nouvelle technologie n’est pas complètement normalisée, Orange et ses concurrents ont lancé des tests grandeur nature dans une trentaine de villes pilotes. Cette approche de pré-lancement commercial d’un nouveau réseau mobile est inédite par son ampleur. Quels en sont les avantages pour les opérateurs et les Etats ?
Une technologie prometteuse mais complexe
L’ultra haut débit mobile 5G ambitionne de répondre simultanément, via une technologie unifiée, à une très grande diversité de besoins dont les exigences respectives en termes de débit, latence, couverture, efficacité énergétique sont potentiellement incompatibles : voiture connectée, automatisation industrielle, IoT, chirurgie à distance...
Il reposera sur de nouvelles briques technologiques (interface radio, architecture réseau) en cours d’optimisation ou de conception. Les dernières spécifications qui seront arrêtées par les releases 16 et 17 de l’organisme de normalisation 3GPP sont attendues en juin 2020 et septembre 2021.
La 5G s’appuiera aussi sur de nouvelles bandes de fréquence (3,5 GHz, 1,5 GHz et 26 GHz).
Son arrivée sera progressive car la technologie n’est pas mature et les fréquences 26 GHz ne seront pas attribuées avant 2022.
Tests et déploiements de la 5G dans le monde-sur bande de fréquence supérieure à 6 GHz
348 opérateurs déploient ou testent la 5G.
61 opérateurs dans 34 pays ont commercialisé un service 5G, dont : AT&T et Verizon aux États-Unis, LG Uplus, KT et SK Telecom en Corée du Sud, Elisa en Finlande et en Estonie, Orange en Roumanie, Vodacom au Lesotho
(Source : GSA)
Des expérimentations pour anticiper la bascule progressive vers des usages révolutionnaires
Les villes pilotes que les opérateurs ont maillé de 50 à 80 sites radio émettant majoritairement sur les fréquences 3,5 GHz leur permettent d’anticiper un déploiement à grande échelle. Elles servent également à préparer, dans la durée, les services de rupture qu’ils proposeront à leurs clients particuliers et sur les marchés verticaux dans les trois grandes catégories d’usages 5G définies par l’Union Internationale des Télécommunication (UIT) : le mMTC, l’eMBB et l’URLLC.
Trois étapes devraient en effet marquer l’arrivée de la 5G :
Etape 1 : arrivée du haut débit mobile amélioré (eMBB pour enhanced mobile broadband).
Depuis 2019, les premiers déploiements de la 5G NR (new Radio) se sont faits suivant la norme 3GPP Release 15 dite NSA pour « nonstandalone ». Les nouveaux équipements radio 5G sont connectés au réseau 4G LTE, dont le cœur reste 4G. L’enhanced mobile broadband offre à l’utilisateur une connectivité meilleure et plus rapide pour du streaming vidéo, des jeux en lignes, des applications de réalité virtuelle et réalité augmentée. Mais pas plus. Les opérateurs peuvent mieux gérer la capacité dans les zones congestionnées, ce qui améliore la qualité de service, source de fidélisation du client.
Etape 2 : Arrivée du massive Machine Type Communications (mMTC) après l’attribution des fréquences en 26 GHz.
Le massive IoT répond à l’enjeu de prise en charge d’une quantité massive d’objets connectés répartis sur une zone restreinte et avec des besoins de qualité de service variés. La norme impose de supporter une densité de connexion d’1 million d’objets par km² quand le standard 4G LPWA en supporte 60 680 par km². Cette étape boostera les technologies émergentes : big data, IA, blockchain.
Etape 3 : Arrivée des communications à très faible latence et qualité de service différenciée (URLLC) permises par l’implémentation d’un cœur de réseau 5G.
L’Ultra reliable low latency communications ouvrira l’accès au network slicing grâce auquel l’opérateur pourra découper son réseau en tranches de réseaux virtuels offrant des services différenciés en fonction des usages critiques des clients, donc de leurs besoins spécifiques en capacité, latence et fiabilité.
Pour favoriser les expérimentations sur ces deux catégories d’usages, la 3GPP a défini et publié en juin 2018 les spécifications de la version SA ou « standalone » de la norme 3GPP release 15 5G NR, basée sur une architecture 100% 5G.
Des bénéfices nombreux avant un déploiement à grande échelle
Le modèle innovant des villes pilotes et plateformes expérimentales 5G constitue un levier de la réussite commerciale et économique des futurs déploiements. Elles permettent aux opérateurs d’explorer les différents défis d’une technologie innovante et de valider, en amont d’un lancement porteur d’inconnues, des questions techniques, organisationnelles et humaines. Le retour d’expérience d’un an d’expérimentations leur a permis de progresser sur plusieurs fronts :
1. Valider les équipements techniques et les fournisseurs
Les tests grandeur nature expérimentent en conditions réelles les performances - débit, consommation énergétique, sécurité… – des équipements 5G proposés par les grands fournisseurs (Ericsson, Nokia, Samsung, Huawei …) afin de les comparer aux spécifications promises et de préparer les appels d’offre pour le choix des partenaires. Pour limiter les CAPEX opérateurs liés au déploiement progressif et parfois parallèle des équipements en mode d’abord NSA puis SA, les couches inférieures de la 5G NR doivent être conçues de façon à fonctionner aussi bien sur un cœur de réseau 4G que 5G.
2. Accompagner la montée en compétence des équipes du déploiement
En France, l’ingénierie de la 5G nécessitera une montée en compétence des équipes impliquées dans les déploiements des équipements, tant sur les aspects opérationnels que sur la configuration et le paramétrage des installations. En effet, la gestion du spectre des fréquences pour les liaisons montantes et les liaisons descendantes sera différente de celle historiquement mise en œuvre. Plus complexe, elle exigera d’une part, une coordination plus forte entre les opérateurs pour éviter les interférences, et d’autre part la synchronisation de l’horloge des différents équipements qui devront tous être réglés sur la même heure. Si le GPS permet d’assurer ce réglage, il requiert des aménagements de sites qui engendrent des coûts et ne sont pas toujours possibles en extérieur.
3. Fédérer et mobiliser un écosystème 5G pour préparer le lancement des services
Les villes laboratoires sont pour les opérateurs l’opportunité de nouer avec des start-ups, des entreprises, des fédérations professionnelles, des centres de recherche… des partenariats de co-construction des nouveaux cas d’usage de la 5G ainsi que de nouveaux modèles économiques centrés sur les marchés verticaux : mobilité connectée, IoT, villes intelligentes, réalité virtuelle, télémédecine, industrie du futur, vidéo UHD, jeux vidéo. Elles les aident aussi à endosser un nouveau rôle d’opérateur-intégrateur, mi-Telco/mi-IT, capable de développer, d’intégrer et d’opérer de bout en bout les solutions et applications de demain.
4. Démontrer aux futurs clients sa capacité d’innovation
Les villes pilotes constituent des vitrines d’innovation sur lesquelles les opérateurs s’appuient pour construire leur crédibilité, tant auprès des particuliers que des entreprises, dans le domaine émergent de l’ultra haut débit mobile.
5. Pour les Etats, contribuer aux enjeux d’inclusion numérique du pays
En facilitant la bascule à la 5G et l’identification des cas d’usage les plus prometteurs, l’Etat Français sert les enjeux d’inclusion numérique et de compétitivité économique de son pays. En effet, la 5G démocratisera certains usages digitaux grand public. Elle accélèrera la transformation numérique des services publics. Elle fera émerger des applications nouvelles dans tous les secteurs industriels. Il est donc dans l’intérêt des Etats de favoriser ces tests à grande échelle.