Point de vue

Quelles solutions pour décarboner le secteur du numérique ?

mer. 01 mars 2023

Le secteur du numérique émet entre 3,8 % et 4% des émissions de GES dans le monde1. Avec la croissance des usages son impact va s’aggraver. Chaque transition technologique est l’occasion de gagner en efficacité énergétique et d’innover pour réduire l’impact carbone de bout-en-bout. Tour de piste de solutions en place ou à l’étude.

Optimiser l’efficacité énergétique des infrastructures

Si 79% de l’impact du numérique est lié aux terminaux, les data centers contribuent à plus de 16% et les réseaux à 5% (étude ADEME-ARCEP 2022). Plusieurs solutions existent pour améliorer l’efficacité dans la consommation énergétique et dans les modes d’exploitation des équipements.

Des data centers éco-efficaces

Les équipements, plateformes, systèmes d’information et applications hébergés par les data centers sont un foyer important de consommation électrique comme la climatisation qui joue un rôle clé dans leur bon fonctionnement. L’éco-efficacité d’un Data Center est mesurée par son PUE (Power Usage Effectiveness). Plusieurs technologies, pour certaines émergentes, permettant une climatisation et un refroidissement naturels, abaissent significativement ce PUE: le free cooling à partir de l’air frais ambiant, le liquid cooling par immersion des équipements dans l’eau ou encore le refroidissement adiabatique, à partir d’air humidifié. Une autre piste est la réutilisation de la chaleur fatale générée par le refroidissement de l’ensemble du matériel informatique pour chauffer des logements, mais elle nécessite une adaptation des réseaux de chaleur existants. Enfin, le déploiement d’alimentations en 400 volts courant continu garantit un meilleur rendement que l’alimentation en 220 volts courant alternatif ou 48 volts courant continu. Côté mesure, il existe une solution modélisée d’analyse des consommations d’un data center, basée sur l’IA, permettant de gérer les ressources et d’améliorer le PUE.

La softwarisation et la virtualisation:

Les opérateurs s’appuient de plus en plus sur des serveurs virtualisés dans le cloud public et hébergés dans des data centers hyper efficaces. Ces solutions en mode SaaS (Software as a Service) leur évitent d’avoir à investir dans des machines physiques en régie propre génératrices d’émissions de carbone qu’ils devraient comptabiliser. Le cloud public est donc une solution intéressante pour alléger son bilan carbone. Une autre solution de transformation allant vers toujours plus de digital et moins de physique est l’edge computing. Ce réseau de mini data centers stockant et traitant les données au plus près des infrastructures, minimise les besoins en bande passante, réduit les coûts de transmission. Il y a un meilleur compromis à trouver entre l’hébergement au plus près de l’utilisateur des données fréquemment requêtées par lui, et la centralisation dans un Cloud des autres données.

Les solutions techniques commercialisées dans un modèle «as a service» (aaS)

La possibilité de mise en veille profonde des antennes intelligentes du réseau 5G est une caractéristique innovante, tout comme le slicing: la possibilité de découper le réseau en tranches virtuelles offrant des qualités de services différenciées suivant les besoins (fiabilité, bande passante, latence). Ce pilotage de réseaux partagés et consommés à la demande, appelé Network As a Service (NaaS), s’appuie sur des technologies de Data IA permettant de capter et de centraliser les informations nécessaires pour optimiser la consommation.

Le partage des réseaux et plateformes

Dans l’esprit des Towerco’s telle Totem, la filiale européenne d’Orange, le partage des infrastructures mobiles passives entre plusieurs opérateurs, comme celle des réseaux fibre FTTH, est vertueux pour l’environnement: il évite la construction de nouvelles infrastructures tout en permettant aux opérateurs d’apporter de la connectivité et des services partout. Cette mutualisation peut aller jusqu’au partage d’éléments actifs, comme le partage d’infrastructures de l’alimentation électrique (y compris à partir d’énergie d’origine verte) et un partage des équipements de télécommunications comme le RAN sharing dans le domaine de l’accès aux réseaux mobiles. Orange a signé des accords en ce sens en Pologne, en Roumanie, en Espagne, en Belgique. Au global, toutes les solutions de mutualisation d’infrastructures passives/actives, d’équipements, de terminaux et de plateformes collaboratives ouvertes, sont bénéfiques à l’environnement par leur caractère circulaire avec une meilleure efficacité d’utilisation des actifs et maitrise des cycles de vie par le gestionnaire.

L’arrêt progressif des technologies 2G et 3G

Chaque transition d’une génération de réseau à une autre apporte un gain d’efficacité énergétique. Cet enjeu a été intégré à la 5G dès sa conception. Même si son déploiement nécessite d’activer beaucoup de fréquences, ce qui la rend en valeur absolue plus consommatrice que la 4G, sa meilleure efficacité énergétique fait qu’elle consomme moins par unité de débit (bit/s). Cette efficacité sera limitée au démarrage du déploiement, du fait du faible remplissage des capacités activées. Mais une fois que le réseau sera monté en charge, que le traitement du signal sera optimisé, l’efficacité sera pleine. Donc, au terme du déploiement d’un réseau 5G SA, l’opérateur aura intérêt à décommissionner ses réseaux 2G et 3G pour éviter un empilement de technologies fortement consommatrices d’énergie. Orange, par exemple, a confirmé qu’il arrêtera progressivement ses technologies 2G et 3 G sur l’ensemble des pays dans lesquels le Groupe est présent dans l’Union Européenne entre 2025 et 2030.

Un pilotage intelligent des réseaux et des consommations: Déjà, des solutions comme les compteurs intelligents IoT permettent de réduire la facture énergétique et de contribuer aux ambitions de décarbonation. Grâce aux Big Data Energy Services, il est possible de récupérer et d’analyser de gros volumes de données et de trafic, pour identifier, par exemple, une puissance d’alimentation trop généreuse, ou détecter des anomalies.

Produire de l’électricité à partir d’énergies renouvelables

Pour s’affranchir des énergies fossiles, le secteur des télécoms mise sur l’énergie solaire avec la construction de fermes photovoltaïques pouvant couvrir de 20 à 70% des besoins en électricité, selon les géographies. Cependant, en analyse de cycle vie, l’électricité produite à partir de panneaux photovoltaïques n’est pas neutre en carbone, parce que la fabrication et la gestion de la fin de vie des panneaux est énergivore.

Quant à l’éolien, il n’est efficace dans l’alimentation de sites mobiles que sur des bâtiments de plus de 50 mètres. Très peu sites sont donc éligibles.

Dans une vision prospective, le numérique pourrait avoir un rôle à jouer dans la mise en œuvre de solutions de stockage de l’électricité à partir d’énergies renouvelables, comme des batteries de secours d’alimentation de datacenters. De telles solutions n’existent pas encore pour des raisons de maturité technologique et de profil du mix-énergétique français basé sur le nucléaire, mais des systèmes de stockage flexibles pilotés par le numérique sont des pistes à explorer pour aller vers plus de décarbonation

S’engager dans l’économie circulaire

Le secteur du numérique est gourmand en ressources. L’économie circulaire est la pierre angulaire pour réduire ses émissions de carbone notamment sur le scope 3.

  • L’écoconception des futurs réseaux est un axe majeur : l’Innovation d’Orange a mis l’efficacité carbone au cœur de son approche d’écoconception de la 6G.
  • Transformer des modèles d’affaires linéaires en modèles circulaires passe par une politique d’achats responsables qui challenge les fournisseurs pour intégrer l’analyse du cycle de vie des équipements de la fabrication à la gestion des déchets; l’allongement de la durée de vie des équipements; un travail avec tout l’écosystème pour réduire l’empreinte…

Dans une vision prospective, la blockchain pourrait permettre de mieux piloter le cycle de vie de chaque pièce au sein d’un équipement, d’identifier des solutions de pilotage et de maintenance des infrastructures. Ces solutions embryonnaires sont en train de se mettre en place. De même les jumeaux numériques dans le métavers avec des tests en format digital pourraient aider à réduire l’empreinte carbone à terme.

 

1https://www.blogdumoderateur.com/numerique-emet-gaz-effet-serre/

 

Davy Letailleur, Directeur ITN et Directeur Général Adjoint

Alexandra Kartachova, Responsable Pôle Market Intelligence

Rémi Sfez, Business Manager

Antoine Delobel, Senior Consultant