L'avènement du Web 3.0 ouvre la voie à une nouvelle forme de relation client digitale mêlant le réel et le virtuel.
Prouhet Loraine, Consultante Senior Innovation & Digital
Le drop de NFTs
Au-delà des telcos, quelques marques s’inscrivent déjà comme précurseurs et proposent les premiers use cases concrets du marché.
La marque Yves Saint Laurent Beauté s’est lancée dans l’aventure en juin 2022. Ils ont organisé un drop de NFTs « YSL Beauty Golden Blocks » téléchargeables via une application mobile créée pour l’occasion par Arianee et faisant office de wallet basé sur la blockchain Ethereum. Le détenteur des NFTs pouvait ensuite accéder à des expériences exclusives avec la marque comme des accès à des concerts et des produits en avant-première. En janvier 2023, un nouvel évènement autour du parfum Black Opium a permis de renouveler l’expérience et d’inciter une nouvelle audience - les acheteurs de flacons- à créer leur wallet pour récupérer de nouveaux NFTs, donnant accès à d’autres avantages (promotions, création de contenus exclusifs, ventes privées, etc.). A travers ces activations, Yves Saint Laurent Beauté explore les possibilités du Web3 et élargit sa communauté sans pour autant migrer dans le métavers. La marque parvient à proposer une expérience client différenciante et innovante et récompense ses clients pour leur engagement.
Avec Decathlon, l'usage du NFT devient aussi immersif. Un objet réel est associé à un NFT permettant l’interopérabilité avec le monde virtuel et l’accès à différentes expériences. En avril 2022, la marque a lancé avec Séan Garnier les Barrio, une paire de chaussures de sport connectée à un NFT. En connectant son NFT, le client peut accéder virtuellement à des expériences ludiques comme : une visite d’un vestiaire virtuel, un live vidéo avec le champion du monde, un accès à la coconception room Decathlon pour participer à la création des produits de demain, etc. En explorant le Web 3.0 et l’immersivité, la marque simplifie la communication avec les clients en l’inscrivant virtuellement dans une dimension plus « réelle », et crée des communautés autour de sa marque en proposant un accès simultané à ces espaces, sur une même période, aux détenteurs de NFTs.
Côté telcos, les marques doivent aller au-delà d’une simple présence comme retailer dans le métavers. En stimulant des sens autres que la vue et l’ouïe, l’immersivité décuple les promesses d’engagement et de proximité avec le client. Les telcos doivent donc aller chercher dès aujourd’hui ce potentiel. »
A travers une simple boutique virtuelle, ils peuvent s’appuyer sur un canal de relation client connu et attirer facilement leurs clients pour explorer ensemble les possibilités du virtuel. Ces expériences immersives peuvent être protéiformes et associer réel et virtuel. Il peut s’agir de jeux ludiques, de véritables quêtes stratégiques faisant appel à la collaboration des joueurs ou encore d’expositions immersives mettant en lumière le métier d’opérateur telco, de la pause des câbles sous-marins à la réception de la Wifi au sein des foyers.
Pour maximiser le potentiel de ces expériences, les interactions doivent aussi être associées à la distribution de NFTs. De cette manière, elles auront la capacité de renforcer la préférence de marque, la connivence avec les clients et entre les clients. En effet, en rassemblant une communauté de joueurs, visiteurs, clients, autour de la marque, les telcos peuvent créer des communautés répondant à des règles, partageant des intérêts communs, qu’ils soient intellectuels, sociaux ou ludiques et donnant lieu à un système de récompenses ou de rémunération. Dans le Web 3.0, ces communautés sont appelées des DAO ou organisation autonome décentralisée. Elles peuvent jouer un rôle déterminant pour les marques car elles reproduisent les forces d’une communauté réelle tout en créant de la valeur pour les marques. Les clients engagés au sein d’une DAO construite autour d’une marque telco peuvent devenir ambassadeurs, la promouvoir, engager des prospects, aider d’autres clients tout en étant rémunérés pour leurs actions en faveur de la marque.
Le portefeuille numérique, la clé d’accès aux opportunités Web 3.0
Les NFTs peuvent aussi répondre aux enjeux de la zéro party data, autrement dit des données que le client partage de manière volontaire et proactive avec la marque. Ces données ont l’avantage d’être qualitatives, pertinentes, économiques et en conformité avec la législation.
En téléchargeant un NFT sur son wallet, le client accepte de partager l’adresse publique de son portefeuille numérique. Il s’agit d’un acte volontaire qui permet ensuite à la marque d’actionner différents leviers de relation client sans avoir à demander au client ses données personnelles.
Un portefeuille numérique donne aussi la possibilité à son utilisateur de stocker différents actifs numériques : des NFTS, ses données personnelles, des coupons de promotion, des tickets d’entrée à des événements, des points de fidélité, des cryptomonnaies, etc. Ce sont les autorisations orchestrées par l’utilisateur lui-même qui permettront à la marque d’accéder aux différentes données stockées sur ce wallet moyennant une contrepartie comme une expérience 100% personnalisée par exemple.
Arianee se positionne aujourd’hui comme la solution d’accompagnement Web 3.0 pour les marques. La start-up met le portefeuille numérique au cœur de ses expériences. Il constitue la clé d’accès, par les NFTs qu’il comporte, à des expériences réelles, virtuelles et assure la continuité de ces parcours dans les différents univers.
Leader Price s’est aussi associé à Arianee et The Sandbox pour lancer le Club Leader Price. Les clients du magasin se voient offrir un NFT via un QR Code reçu par mail, prenant la forme de petits personnages ludiques (boulanger, livreur, pâtissier, vigneron, etc.) lors de leurs courses alimentaires. La marque invite ainsi ses clients, par l’activation du QR Code, à se connecter à l’application Leader Price Wallet, développée par Arianee, pour accéder au NFT. Ces NFTs débloquent des promotions en fonction du profil associé : les livreurs auront par exemple des promotions sur les livraisons. Pour ne pas générer de frustration client sur l’attribution aléatoire des profils, les NFT pourront être échangés entre détenteurs pour mieux correspondre à leurs besoins, générant alors un flot d’informations intéressant pour la marque.
Une nouvelle forme marketing basée sur l’usage
Ces use cases autour du NFT et des portefeuilles numériques confirment l’émergence d’une nouvelle forme de marketing de la relation client, non plus centrée sur la personne, mais sur l’usage et le comportement grâce au partage volontaire d’informations centralisées sur le wallet.
Avec le Web 3.0, ce partage volontaire de la data va être déterminant dans la création de valeur autour de la marque. Les opérateurs telcos ont donc tout intérêt à explorer dès maintenant des leviers de motivation de partage de la data. Il peut s’agir, d’une extension des modèles actuels avec de l’hyperpersonnalisation, comme proposer une offre « au juste prix » reposant sur la consommation réelle du client, ou d’offres cross-sell avantageuses s’appuyant sur des partenariats identifiés grâce au partage d’un ensemble de données transactionnelles ou navigationnelles. Par exemple, un opérateur telco s’associe avec différents partenaires (cinémas, plateformes SVOD, kiosque numérique, parcs d’attraction, hôtels ou agences de tourisme, etc.). En recevant les données transactionnelles ou navigationnelles d’un client, il peut identifier une offre cross-sell pertinente pour son client et lui proposer une activation « au juste prix » pour le récompenser pour son partage de données. La marque s’inscrit ainsi comme apporteur d’affaires et acteur d’une expérience client globale (multi-marques) et interopérable au service du client.
Les opérateurs telcos peuvent aussi s’appuyer sur le contexte d’urgence climatique pour renforcer l’intérêt du partage de données, notamment de consommation d’équipements. Le client peut ainsi s’inscrire comme acteur de la création d’un marché de seconde main dédié au partage de la data internet non utilisée et cédée à des personnes dans le besoin. Le partage peut être motivé par la distribution de NFTs « acteurs greens » ou par l’intégration à des DAO « inclusion numérique » ayant vocation à accompagner les populations dans le besoin sur le digital.
Une autre contrepartie intéressante au partage de la donnée client peut reposer sur l’exploitation des jumeaux numériques. Un jumeau numérique est une représentation numérique d’un bien, ici une box par exemple. En échange du partage de données analytiques liées à leurs boxs (navigationnelles, transactionnelles, énergétiques, etc.), les clients peuvent alimenter un jumeau numérique et bénéficier d’une surveillance accrue des performances de leur équipement pour prévenir les bugs et anticiper les évolutions nécessaires ou intervention des techniciens à leur domicile.
Le Web 3.0 encourage le développement de ces nouveaux business models grâce à la blockchain et à la transparence qu’elle induit sur le traitement des informations. Les clients ont plus de contrôle sur leur data mais aussi plus de visibilité sur leur exploitation. Les marques doivent dès à présent s’inscrire dans ce nouveau paradigme, motiver la cession de data et offrir une vision précise de l’utilisation qui en sera faite.
Les programmes de fidélité s’exportent dans le Web 3.0
Certaines marques ont déjà intégré les changements de mentalité inhérents au Web 3.0 et poussé l’exploration un cran plus loin en proposant des programmes de fidélité basés sur les NFTs. C’est le cas de Starbucks, qui crée une extension à son programme Starbucks Rewards avec Starbucks Odyssey. La marque propose un nouvel espace digital où la communauté Starbucks peut se réunir autour d’un café et s’engager dans des expériences immersives.
Starbucks Odyssey tient la promesse d’être facilement accessible via une application tout en reposant sur des technologies du Web 3.0 (blockchain Polygon). Les clients peuvent y découvrir des activités ludiques comme des jeux, des concours, des informations, etc. donnant accès à des collections de NFTs. Ces NFTs sont achetables et échangeables et promettent des avantages et des expériences exclusives comme des cours de fabrication de martini espresso ou encore un voyage au Costa Rica à la découverte de la ferme de café Starbucks Hacienda Alsacia. Le programme n'en est qu’à sa version beta mais les premiers NFTs ont déjà démontré leur intérêt et leur valeur en affichant un prix plancher à 350 $ quelques dizaines de minutes après leur lancement. Nul doute que ce programme de fidélité rémunérateur pour le client aura de quoi susciter l’engagement de sa communauté.
Ce genre de programme peut susciter un intérêt fort chez les telcos. Le secteur fait face à une standardisation de ses offres et services et doit proposer des marqueurs forts de différenciation. Construire un programme de fidélité basé sur la blockchain, générateur de NFTs et associés à des niveaux et récompenses permettrait d’inscrire la relation client sur le long terme et d’encourager l’engagement des clients. Le programme de fidélité est d’autant plus intéressant qu’il reprend les différents codes du Web 3.0 : blockchain, NFTs, tokens, DAO, zero party data, immersivité tout en s’inscrivant dans le réel.
C’est donc peut-être l’opportunité pour les telcos de proposer un programme croisé avec des partenaires pour capitaliser sur le potentiel du Web 3.0 et devenir un acteur incontournable d’une expérience client plus globale.
En résumé
Le Web 3.0 permet donc à une nouvelle forme de relation client digitale, unique et mêlant réel et virtuel, d’émerger tout en répondant au besoin d'anonymisation des clients, de contrôle sur les données personnelles, d'appartenance, de partage de la valeur et d'évasion… Il faut parvenir à démocratiser ce nouvel environnement et à y engager ses clients en leur proposant des avantages, un espace communautaire et l’animer pour espérer recevoir des feedbacks. Cette réponse constituera à terme, l’un des seuls moyens pour les marques de comprendre leurs clients et d'améliorer leur expérience, sans passer par les cookies tiers.
Le Web 3.0 est une architecture décentralisée mais aussi une philosophie où le contrôle des données personnelles est rendu à l’utilisateur, l’usage récompensé, redonnant ainsi de la valeur aux interactions. Il ne s'agit pas seulement d'une évolution technologique ou d'un changement dans les usages des clients, mais de la synergie de ces deux facteurs. Néanmoins, il faut garder à l'esprit que les enjeux autour de l’inclusion numérique sont toujours présents et qu’un accompagnement des utilisateurs vers ces nouveaux usages sera nécessaire. Le développement du Web 3.0 pourrait également être freiné par le coût environnemental de cette transformation. En effet, la bande passante nécessaire au fonctionnement de la blockchain reste considérable et décuple l’impact carbone du digital, déjà prépondérant.
Actuellement, une multitude de projets web 3.0 sont en cours, mais l’exploration ne se fera certainement pas uniquement côté marque et utilisateurs, les états et régulateurs devront aussi intervenir pour assainir le potentiel et cadrer l’usage de cette évolution digitale. Des risques psycho-sociaux peuvent exister et il est important de protéger au mieux les différentes parties prenantes sur les risques d’usurpation d’identité, d’anonymisation des avatars, de harcèlement, etc.