Les groupes Orange et MTN ont annoncé fin 2018 la création d’une entreprise commune dénommée Mowali qui permettra l’interopérabilité des paiements sur l’ensemble du continent africain. Retour sur cette révolution dans le monde des services financiers digitaux.
Quelles sont les réflexions à l’origine du projet Mowali ?
Les réflexions sur l’interopérabilité ne sont pas récentes. Il y a eu très tôt un consensus du secteur sur son utilité. En effet, un groupe de travail avait été lancé il y a quelques années par la GSMA sur le sujet avec la participation des principaux opérateurs de services de mobile money, dont MTN Group et Orange. Les opérateurs s’engageaient à travailler ensemble pour accélérer la mise en oeuvre de services de mobile money interopérables à travers les régions d’Afrique et du Moyen-Orient.
C’est grâce à, ou à cause de, la croissance exponentielle des services et du nombre d’utilisateurs de mobile money ces dernières années que les limites en termes d’usage se sont faites plus visibles. Le modèle actuel, fermé (« closed loop »), ne suffit plus à répondre aux demandes des utilisateurs qui souhaitent envoyer de l’argent à des destinataires plus nombreux, ou payer des services plus variés, au sein et en dehors de leur propre réseau mobile.
MTN Group et Orange ont donc souhaité agir de façon proactive, en capitalisant sur les travaux de la GSMA, pour lancer au plus vite un service innovant dont la nécessité, tant du point de vue de l’avenir du secteur que des attentes des consommateurs, ne faisait plus aucun doute.
Comment se positionne Mowali par rapport aux offres de mobile money existantes ?
Mowali a été conçue comme une offre d’intermédiation technique à destination des opérateurs de mobile money. Notre objectif est d’être un « enabler » qui va leur permettre de fournir de nouveaux services à leurs utilisateurs.
Nous proposons un modèle ouvert à tous les opérateurs, sans condition. Notre plateforme et nos processus sont standardisés de façon à faciliter l’intégration et à offrir un service homogène.
Mowali n’est pas concurrente des opérateurs de mobile money. À l’instar d’un Visa/MasterCar qui n’est pas un concurrent des banques, Mowali ne fait « que » faciliter les flux financiers entre les utilisateurs finaux (clients, marchands, etc.) quels que soient les fournisseurs de services et les pays d’origine et de destination des flux.
Ensuite, les opérateurs restent responsables et maîtres de leur positionnement et différenciation : il leur incombe de définir des offres de services, une expérience client et des tarifs attractifs afin de conquérir de nouveaux utilisateurs et d’encourager l’usage.
De nombreuses autres initiatives de mise en place d’interopérabilité fleurissent à des niveaux locaux ou régionaux, souvent à l’initiative des gouvernements. Mowali a-t-elle bien sa place dans ce contexte ?
Mowali a toute sa place. Les besoins des utilisateurs finaux comme des entreprises sont finalement très similaires d’un pays à l’autre. Nous sommes donc persuadés qu’il est extrêmement pertinent d’apporter une réponse globale au niveau du continent africain.
Développer une plateforme d’interopérabilité est complexe et coûteux. Mutualiser des investissements et des coûts opérationnels permettra de les optimiser et donc de minimiser les coûts unitaires facturés aux utilisateurs. C’est la clé de la rentabilité. Des initiatives régionales ou locales traiteront plus difficilement des volumes de transactions équivalents, impactant de facto le coût unitaire.
Comment les opérateurs vont-ils principalement bénéficier de cette nouvelle interopérabilité ?
Bien que les services de mobile money existent depuis déjà plusieurs années, les priorités de la majorité des opérateurs restent, d’une part l’acquisition de nouveaux clients, et d’autre part l’intensification et la diversification des usages.
La proposition de services attractifs reste clé dans le recrutement d’utilisateurs et le développement des usages. Or la complexité de déploiement d’intégrations bilatérales freine le lancement de nouveaux services, car les fournisseurs de services de mobile money doivent se connecter aux systèmes d’information de chacun des partenaires avec lesquels ils souhaitent lancer de nouveaux services. Il faut également créer des processus adaptés à chaque partenaire.
Avec Mowali, nous voulons lever ces freins en standardisant ces procédures et en proposant aux opérateurs d’accéder à de nombreux partenaires au travers d’une connexion unique.
Quels sont les principaux cas d’usage ?
Deux cas d’usage concentrent les plus fortes attentes d’interopérabilité : le transfert d’argent entre particuliers et le paiement marchand.
Ouvrir un nouveau corridor de transfert en bilatéral nécessite généralement beaucoup de temps. Grâce à Mowali, tout opérateur intégré à la plateforme pourra immédiatement proposer des transferts vers tout autre opérateur connecté.
La situation est très similaire dans le cas des paiements marchands. Les systèmes cloisonnés obligent également chaque marchand à, non seulement signer des accords spécifiques, mais aussi mettre en place des processus avec chaque opérateur de mobile money. Tout cela va désormais changer : une fois connecté à Mowali, le marchand pourra accepter les paiements de n’importe quel opérateur connecté. Cela va évidemment démultiplier les opportunités commerciales, tant au niveau national qu’international.
On peut également imaginer d’autres flux entre les entreprises et les particuliers, entre les gouvernements et les citoyens ou entreprises, ou même entre entreprises. Les possibilités sont infinies : paiement des salaires, paiement des fournisseurs, versement de prestations sociales, paiement de taxes et impôts… La balle est désormais dans le camp des opérateurs pour imaginer les services de demain.
L’interopérabilité va-t-elle renforcer la position des opérateurs de mobile money ?
L’interopérabilité va certainement renforcer la place des opérateurs en leur permettant d’offrir de nouveaux services à leurs clients. Elle va également faciliter l’interaction avec les banques, les grands marchands, des fintechs, etc. En ce sens, le marché des services financiers digitaux est certainement amené à se réorganiser avec l’arrivée de l’interopérabilité.
En se connectant à des opérateurs de mobile money, les banques vont par exemple pouvoir adresser de nouveaux segments de marché. De leur côté les fintechs, qui peinent parfois à trouver des débouchés, vont pouvoir accéder à de nombreuses opportunités de partenariat.
Surtout, ce marché est amené à se développer massivement grâce aux nouveaux usages. Certes la pression concurrentielle ne peut que s’accroître, mais si le volume et la valeur du marché sont multipliés par dix, tous les acteurs seront gagnants !
Comment les stratégies des opérateurs devraient-elles donc évoluer ?
Aujourd’hui beaucoup d’opérateurs proposent uniquement des services de mobile money « traditionnels » : cash-in, cash-out, transfert peer-to-peer, etc. Leur différenciation repose principalement sur la taille de leur réseau d’agents et de leur base client.
L’interopérabilité va quelque peu gommer ces « avantages ». Il est donc essentiel que les opérateurs développent de nouveaux services innovants et une expérience digitale toujours plus fluide. Ce sont tous ces nouveaux éléments qui devront constituer demain les accroches de leur positionnement et valeur ajoutée.