Point de vue

Match OTT- Telcos : riposter oui, mais pas n’importe comment

mer. 14 nov. 2018

Si la solution face aux OTT existe, elle est plurielle. Elle nécessite d’une part une meilleure coordination au sein d’un opérateur. D’autre part, elle requiert une entente plus forte entre l’ensemble des opérateurs.

Madjid Babaci

Dans « Match Telcos – OTTs : l’heure de la riposte », mon précédant article, j’ai abordé différentes pistes permettant aux opérateurs télécoms de lutter contre les OTT et limiter la perte de chiffre d’affaires. L’expérience montre cependant qu’une riposte longuement murie est préférable à toute réaction trop rapide qui peut s’avérer en réalité plus néfaste que les OTT elles-mêmes. Une méthodologie analysant les causes profondes du désaveu des services de l’opérateur permettra de réagir le plus efficacement possible.

Une riposte mûrement réfléchie est indispensable

Les solutions des opérateurs sont avant tout nationales, chaque opérateur développant sa stratégie pour contrer l’avancée des OTT sur son réseau. Les solutions apparaissent donc décousues et unilatérales, quand dans un même temps, les OTT adoptent des stratégies supranationales faisant fi des frontières.

Ainsi pour répondre efficacement, l’opérateur se doit d’adopter une solution à 360°. Il s’agit de considérer tous les instruments existants et de créer une réponse concertée, efficace et mesurée. Face aux OTT, aucune réponse trop simpliste n’aura d’effets. Un dosage déséquilibré d’éléments légaux, de protections tarifaires ou d’efforts technologiques peuvent avoir des effets contraires.

Citons ici deux exemples :

Exemple 1 : quand les utilisateurs se révoltent

Un premier exemple concerne un opérateur africain, leader sur son marché.  Face à une importante perte de chiffre d’affaires, il avait pris la décision unilatérale de bloquer les OTT voix sur l’ensemble de son réseau. Décision ferme s’il en est, mais c’était sans compter sur la réaction des utilisateurs et des concurrents. Ainsi, en l’espace d’une semaine, les usagers appelèrent au boycott de l’opérateur; ils organisèrent des manifestations demandant au ministère de faire lever cette mesure; ils lancèrent également des séries de #hashtags pour dénoncer cette privation. Le concurrent principal, alors en position de challenger, organisa une campagne digitale s’affichant comme le réseau préféré des jeunes et réseaux sociaux. Après 3 semaines d’interruption, l’opérateur présenta ses excuses, revînt sur sa décision et constata que ses usagers « multi-SIMs » n’utilisaient plus sa carte SIM pour les usages data.

Exemple 2 : quand les utilisateurs contournent l’obstacle

Un second exemple, concerne un opérateur en situation de monopole. celui-ci a dû, sur décision gouvernementale, bloquer l’ensemble des applications OTT voix et messaging, accessible sur mobile. Après 6 mois, une étude menée sur le trafic international révéla l’inutilité économique de cette mesure. Le trafic international entrant et sortant avait continué à chuter. Concrètement les utilisateurs des OTT (Viber, WhatsApp, WeChat) ne s’étaient pas mécaniquement rabattus vers le réseau de l’opérateur pour effectuer ou recevoir leurs appels internationaux. Ils avaient simplement cessé d’émettre ou de recevoir des appels internationaux ou avaient contourné le blocage grâce à des applis de « Spoofing » ou des VPNs.

Appliquer une méthode efficace: 5 étapes essentielles

Il convient donc de préparer soigneusement sa riposte. Au fil de mes expériences sur différentes missions, j’ai identifié 4 étapes essentielles

1. Se fixer un objectif

 L’élément premier de la stratégie de riposte consiste à définir un objectif clair et chiffré car il conditionne les outils. Pour exemple, face à une perte croissante de chiffre d’affaires de près de 25% par an sur les messages nationaux et 30% sur la voix internationale, un opérateur souhaite apporter une réponse globale afin de ralentir et compenser cette perte de revenus.

2. Comprendre les nouveaux flux de communication

 La seconde étape consiste en une analyse poussée de cette perte de chiffre d’affaires. Il convient d’analyser les évolutions des communications sortantes (SMS ou appel d’un réseau local vers un opérateur international), entrantes et du roaming.

Pour chaque flux, il est nécessaire de s’interroger sur les alternatives possibles. Il faudra également identifier les nouveaux usages et tendances des utilisateurs. Il est intéressant à ce titre de dresser quelques portraits robots d’utilisateurs-types. Ces portraits-robots permettent d’individualiser les comportements et de rendre la perte de chiffre d’affaires plus concrètes. Ainsi l’utilisateur X communique-t-il à présent vers l’international via un autre opérateur national, via un OTT, via des cartes prépayées ou a-t-il simplement réduit voire cessé sa consommation ?

3. Analyser en détail la source des pertes pour chaque flux

Il convient ensuite de se poser les bonnes questions :.

  • Le résultat diminue-t-il en raison d’un volume plus faible d’appels et SMS ? En d’autres termes, est-ce le nombre d’appels qui diminue ou la valeur unitaire générée sur ce même nombre d’appels?
  • Identification des zones : est-ce que certaines zones ou pays sont plus particulièrement affectés ?
  • Les pertes sur la voix pèsent-elles sur le réseau fixe ou mobile?
  • La situation est-elle conjoncturelle ou structurelle ? Le même schéma se répète-t-il chaque mois ou les pertes sont-elles dues à un évènement spécifique?
  • Pour les pertes sur le roaming, entrant ou sortant, il conviendra aussi d’analyser avec précisions l’ensemble du trafic, les zones touchées, les pays de provenance et le type de données impactées (Voix, SMS ou Data).

Poser la problématique de manière précise, permet en effet de mieux déterminer les solutions envisageables. En effet, les OTT sont souvent considérées à juste titre comme la première explication d’une baisse de chiffre d’affaires international toutefois comme l’explique Neural Technologies[1] dans son étude de 2016, la fraude interne, externe et les revenues internationaux non collectés constituent également un manque à gagner important.

4. Choisir les solutions à mettre en oeuvre

Après avoir détaillé l’impact et les sources de cette baisse de revenu, on pourra définir des solutions à implémenter à court ou moyen terme. (cf. article . « Match Telcos – OTTs : L’heure de la riposte » pour un éventail des ripostes envisageables).

5. Créer une task force transverse

Enfin, l’opérateur devra s’organiser en conséquence en créant une task-force spécifique pour mettre en œuvre l’ensemble des solutions dans un temps donné.

La task-force doit être composée d’acteurs de tous les départements :

  • Marketing pour la création et le lancement des offres;
  • Wholesales pour superviser les négociations interopérateurs ;
  • Finance pour évaluer l’impact économique de chaque offre et étudier plus précisément les risques de cannibalisations;
  • IT et réseaux pour évaluer en amont la faisabilité des offres et définir les évolutions nécessaires ;
  • Communication afin de s’assurer que le lancement de ses offres soit relayé auprès des cibles clés (nationales et internationales);
  • Distribution et relation client pour assurer un support particulier, une expérience client réussie et une prise en main facilitée.

Bien entendu il est nécessaire que cette task-force soit « sponsorisée » par un membre du comité de direction afin d’accélérer la prise de décision et de s’assurer d’un mode de travail agile.

Si l’opérateur X est attaché à un groupe, il sera pertinent d’avoir une méthodologie globale et d’uniformiser une partie de la réponse à travers les pays, afin de s’assurer d’une solution percutante. En effet, comme énoncé plus haut, les OTT ayant une démarche supranationale, il convient donc de leur répondre avec une solution à leur niveau.

En conclusion

Si la solution face aux OTT existe, elle est plurielle. Elle nécessite d’une part une meilleure coordination au sein d’un opérateur. D’autre part, elle requiert une entente plus forte entre l’ensemble des opérateurs.

S’il s’agit aussi d’accepter une partie de cette baisse de trafic, la solution réside également dans l’innovation et l’anticipation. Les opérateurs doivent travailler en parallèle à la création d’un nouveau chiffre d’affaires par le biais de solutions à fortes valeurs ajoutées avec un plus faible risque de substitution. Les investissements massifs et continus des opérateurs sur l’Internet des Objets, l’Intelligence Artificielle ou les réseaux à très hauts débits, fibres et 5G, prouvent que l’avenir des télécommunications se fera avec les opérateurs ou ne se fera pas.

Madjid Babaci

Consultant Senior