Point de vue

L'IA dans les télécoms, au-delà du hype

ven. 05 déc. 2025

L’IA dans les télécoms : un enjeu stratégique

En novembre 2022, Open AI a inauguré une nouvelle ère en offrant Chat GPT au Grand Public, mettant en lumière les capacités des modèles de langage (Large Language Models, LLM) et les rendant facilement accessibles. Depuis lors, la capitalisation boursière de Nvidia le moteur hardware des LLMs a dépassé 1 000 milliards de dollars en 2023, puis 3 000 milliards en 2025  devenant la société la plus valorisée de l’histoire.

L’intelligence artificielle (IA) est désormais considérée comme un incontournable dans toutes les industries reposant sur les technologies de l’information, et bien au-delà est devenue un enjeu géopolitique majeur, où les puissances économiques et politiques se lancent dans une course aux investissements.

Toutefois, l’IA dans les télécommunications ne se limite pas aux LLM et a commencé à se développer bien avant  certaines applications étant spécifiques au secteur, d’autres plus transverses. Ce document examine les opportunités et les défis apportés par l’IA pour les opérateurs télécoms.

Pour ce faire, nous nous concentrerons sur les formes d’IA les plus utilisées : l’IA prédictive, les grands modèles de langage et l’IA agentique. Nous illustrerons leur impact à travers les cas d’usage les plus significatifs sans pour autant couvrir toutes les possibilités offertes par la famille des IAs.

Les opérateurs n’ont pas attendu le lancement de chat GPT pour investir. À titre d’exemple, Orange a identifié la data et l’IA comme un pilier stratégique dès 2019 (Engage 2025), tandis que Telefónica a créé en 2016 une division data dédiée, LUCA (désormais Telefónica Tech).

Les formes d’IA : prédictive, générative et agentique

L’IA prédictive est la plus ancienne et la plus mature. Elle utilise des modèles statistiques et de Machine Learning pour détecter des patterns et prévoir des événements à partir des données historiques. Sa force réside dans l’absence de nécessité d’expliciter une règle : l’algorithme ne se soucie que des données qu’il ingère. La condition de réalisation est la capacité à collecter, organiser et labelliser des volumes massifs de données.

Cette IA devient ainsi un véritable « oracle », capable de détecter des signaux faibles, comme l’apparition de pannes ou de résiliations client avant qu’ils ne se produisent. Elle permet également de modéliser des systèmes techniques complexes tels que la propagation radio ou la planification réseau multifactorielle combinant des informations techniques et géomarketing.

L’IA générative (GenAI), incarnée par les LLMs, permet de créer de nouveaux contenus  texte, code ou synthèses de connaissances  à partir d’une immense bibliothèque (texte, code informatique). Ceci a été rendu économiquement possible grâce aux capacités de calcul des processeurs Graphiques NVIDIA (Graphical Processing Units, GPU).

Avec la GenAI, les ordinateurs donnent l’illusion complète de maîtriser le langage naturel. Sur le plan opérationnel, elle permet d’intervenir en langage de non spécialiste dans des situations techniques ou d’interagir avec les clients de manière bien plus souple et personnalisée que les chabots rigides. Logiquement, la GSMA indique que 47 % des déploiements IA concernent des usages liés aux opérations ou aux Services clients.

L’IA GEN constitue également un moyen remarquable de synthétiser, produire ou centraliser l’information pour l’ensemble des services de l’entreprise (technique, marketing, juridique, etc.).

l’IA agentique est une capacité émergente qui propose un système d’agents autonomes capables de percevoir, décider et agir pour atteindre des objectifs définis. Elle vise à devenir une couche d’orchestration au-dessus des processus. L’IA agentique utilise souvent des LLM comme moteur de raisonnement, complétés par d’autres modules (mémoire, boucle action/rétroaction, etc.).
Cela ouvre de nombreuses opportunités en automatisation avancée, où des agents pourront coordonner plusieurs domaines (IT, service client, réseau) pour lancer des ordres de travail cohérents, par exemple pour la maintenance réseau.

Optimisation client et personnalisation grâce à l’IA dans les télécoms

D’un point de vue commercial, le Customer Value Management (CVM) est souvent considéré comme le cas d’usage majeur de l’IA data, car son business case repose sur la valeur client, et son bénéfice est facile à constater : un client traité avec CVM génère plus de valeur qu’un autre. Avec le temps, CVM a gagné en sophistication, utilisant davantage de Machine Learning pour déterminer les interactions (Next Based Actions) ou les meilleures offres à proposer (Next Based Offer). Contrairement aux configurations statiques, le CVM basé sur l’IA peut optimiser plusieurs objectifs simultanément (revenu, churn, capacité, équité, fatigue de sollicitation).

Les LLM interviennent désormais pour la personnalisation de la communication client.
L’expérience client pilotée par l’IA devient donc une combinaison de la bonne sollicitation client, du bon objectif de valeur (anti-churn ou upsell), avec l’interaction la plus naturelle possible.

La prochaine étape sera le CVM agentique  des agents marketing autonomes qui surveillent les KPI (NPS, ARPU, risque de churn), apprennent des performances de campagne et déclenchent automatiquement de nouvelles actions. Par exemple, un agent de rétention pourrait, après une panne, coordonner  sur la base d’un scoring , la communication ciblée, la priorisation des actions de qualité réseau et une offre de fidélisation adaptée, le tout sans intervention humaine pralable.

Opérations réseau, maintenance prédictive, planification

Les réseaux génèrent des milliards d’événements chaque jour. La maintenance prédictive basée sur l’IA identifie des configurations anormales (qui sont des patterns numériques sans signification apriori) et estime la probabilité de pannes avant qu’elles ne surviennent. Cela permet d’optimiser notamment les interventions.

Il est possible ainsi d’améliorer concrètement des indicateurs comme le temps moyen de réparation (MTTR) ou encore la productivité des agents du Network Operating Center (NOC)  ce qui se traduit directement par des bénéfices financiers.
Des agents d’IA sont déjà utilisés dans le NOC d’Orange pour la supervision du réseau mobile. Ils agrègent la base de connaissances réseau, les informations issues des tickets et les procédures techniques afin de soutenir les opérations.

Dans un autre registre, L’IA est particulièrement efficace pour combiner plusieurs contraintes difficiles à modéliser avec des équations déterministes : équilibrer les contraintes de couverture, les objectifs de qualité/débit et l’efficacité énergétique. On utilise ainsi ces technologies pour le déploiement, en particulier pour maximiser le potentiel clients par rapport au capex employé (projet d’Orange Smart Capex).

Obstacles actuels

Derrière le hype et les bénéfices, plusieurs barrières doivent être levées pour libérer tout le potentiel de l’IA.

L’IA est une technologie transformationnelle qui doit être intégrée dans une organisation existante. Les projets CVM, par exemple, relèvent d’abord du changement organisationnel  un enjeu transverse dépassant largement l’IT et nécessitant un soutien exécutif. En pratique, l’organisation est souvent un facteur limitant des projets (travail en silo, intégration d’équipes outsourcées, etc.).

La mesure des gains de l’IA est également un défi. Orange a développé sa propre méthodologie (Data Value Measurement) pour estimer la valeur des projets sur des bases comparables. Toutefois les gains effectifs combinent toujours pertes de revenus évitées (rétention), des coûts évités (optimisation des opérations) et des  nouveaux revenus (upsell)  trois impacts de nature et d’horizon budgétaire différents.

La qualité des données est un enjeu permanent. Les modèles entraînés sur d’anciennes configurations réseau peuvent perdre en pertinence un phénomène appelé model drift. Les hallucinations des LLM constituent également un challenge : la GenAI ne peut jamais être considérée comme fiable à 100 %. Cela impose des réentraînements qui augmentent la charge IT  ou des vérifications manuelles qui réduisent les gains d’automatisation.

Avec les réseaux de neurones et les espaces latents des LLM, les systèmes IA deviennent des boîtes noires. Leur force  ne pas avoir besoin de règles explicites  devient une faiblesse au moment d’expliquer une décision. Cela pose des questions de contrôle (laisse-t-on l’IA décider ?), de qualité (était-ce la meilleure décision ?) et même d’éthique (contrôlons-nous les bias ?).

Enfin, le Forum économique mondial estime que jusqu’à deux tiers des heures de travail (marketing, juridique, RH, etc.) pourraient être affectées par les LLM. Chaque entreprise doit donc relever un défi d’acculturation dans un contexte où les outils ne cessent d’évoluer. Il existe également un risque que les LLM génèrent leur propre surcharge de travail, et que l’on perde en temps d’adaptation, ce que l’on a gagné en productivité.

Suivant les cas d’usages, l’intégration de l’IA dans l’organisation telco aura des impacts plus ou moins profonds. Par rapport à d’autres industries, certaines applications télécoms sont bien identifiées, et leurs bénéfices assez établis. En ligne de mire nous avons l’automatisation complète des réseaux (niveau 5 au sens du TM forum), même si cette cible semble encore lointaine.