Point de vue

Les réseaux d’agents de services financiers digitaux

jeu. 06 juin 2019

Fin 2017, la GSMA recensait près de 3 millions d’agents mobile money actifs dans le monde. Ces acteurs jouent un rôle clé dans l’opération des services de paiement mobile. Apanage historique des opérateurs de télécommunications, les réseaux d’agents indépendants sont désormais également déployés par leurs concurrents. Dans un contexte de compétition croissante sur le marché des services financiers digitaux, la différenciation se jouera alors sur deux tableaux : la création de valeur par le réseau de distribution, mais aussi la création de valeurpour les agents eux-mêmes.

En collectant les dépôts, les agents assurent la conversion de la monnaie fiduciaire en monnaie électronique et constituent ainsi le principal canal d’alimentation des écosystèmes de mobile money. Ils sont également les principaux interlocuteurs physiques des utilisateurs : ils jouent à ce titre un rôle capital dans le recrutement de clients, l’accompagnement et le conseil apporté à ces derniers.

Au-delà, les agents sont au coeur de la proposition de valeur du mobile money. Le service de proximité qu’ils offrent constitue un avantage concurrentiel puissant face aux services offerts par les institutions financières traditionnelles : ils permettent aux utilisateurs d’éviter des trajets coûteux en temps et en argent, de bénéficier d’horaires d’ouverture étendus et d’un temps d’attente sensiblement inférieur à celui « subi » en agences bancaires.

Comment améliorer la qualité de service des réseaux d’agents ?

La qualité d’un réseau d’agents mobile money s’appuie sur des fondamentaux qui sont désormais bien connus : couverture étendue du territoire, maillage fin et adapté au potentiel des zones, disponibilité de la monnaie électronique et des liquidités, formation initiale et continue des agents, mise en place d’outils de pilotage du réseau, ou encore plan de commissionnement attractif.

De nouveaux outils de pilotage permettent ainsi de renforcer la performance d’un réseau d’agents et d’accroître in fine la valeur créée pour les utilisateurs. Ces outils s’appuient sur des capacités analytiques étendues. Ils permettent par exemple d’optimiser le recrutement d’agents pour privilégier les zones à plus fort potentiel. Le choix de l’emplacement des agents s’adaptera ainsi aux couloirs de transfert d’argent, en se basant notamment sur des critères liés aux spécificités socio-économiques du pays en question (zones rurales/urbaines, secteur primaire/secondaire…). Les outils de pilotage les plus aboutis appuient également les opérations commerciales et vont jusqu’à générer des plans d’actions concrets. Basés sur l’analyse des indicateurs de performance et directement « poussés » aux équipes commerciales, ils détaillent les actions terrain à engager.

La gestion des stocks de liquidité ou de monnaie électronique est un axe d’amélioration structurant. Dans plusieurs pays, Sofrecom a pu constater que
la réalisation de dépôts et de retraits de sommes importantes demeurait un défi, notamment en zones rurales. Certains outils permettent de prédire
la demande ou d’anticiper les ruptures de stock, en s’appuyant sur l’étude de tendances d’usage et de données externes. Les opérateurs de services de
mobile money qui sauront garantir la disponibilité des liquidités ou de la monnaie électronique chez les agents disposeront d’un avantage concurrentiel
décisif.

La formation et l’information des agents restent au coeur de la performance du réseau et de la satisfaction des utilisateurs, dont ils constituent le principal point de contact. La majorité des opérateurs de mobile money ne sont qu’au début du déploiement des nouvelles formes d’interaction que permettent les outils technologiques en la matière. Les médias interactifs, notamment, sont susceptibles d’assurer une formation plus efficace. Ainsi certains opérateurs expérimentent le recours aux tutoriels vidéos, chatbots et voicebots (serveurs vocaux interactifs), ou encore aux réseaux sociaux pour assurer l’information, la formation et l’évaluation de leurs agents.

La stratégie de recrutement et de fidélisation des agents est appelée à jouer un rôle capital dans un contexte où les lancements de services financiers
digitaux se multiplient. Ainsi, l’Institut Helix estime qu’environ deux tiers des agents distribuant des services financiers digitaux en Tanzanie, en Ouganda
ou au Sénégal le faisaient de manière non exclusive en 2015 (ils distribuaient les services de trois fournisseurs en valeur médiane).

Pour attirer et s’assurer de la loyauté de leurs agents, les fournisseurs de services financiers digitaux devront développer une proposition de valeur convaincante. Celle-ci passera impérativement par un support performant aux agents. Le réapprovisionnement en liquidités ou en monnaie électronique constitue par exemple l’une de leurs préoccupations majeures (obligation de se déplacer, d’interrompre potentiellement l’activité du point de vente et de perdre les revenus associés à cette activité). Certains fournisseurs ont engagé des réflexions structurantes sur le sujet et des acteurs tels qu’Airtel Ouganda1 ont mis en place des équipes mobiles en charge du réapprovisionnement du réseau. Les opérateurs explorent également les modèles dits « tout UV » (unité de valeur), susceptibles d’être proposés aux agents qui distribuent à la fois des services de mobile money et du crédit téléphonique prépayé. Dans ces dispositifs, les agents n’ont plus à « stocker » conjointement de la monnaie électronique et du crédit téléphonique : ils disposent
d’un unique compte de monnaie électronique, laquelle est instantanément convertie en crédit téléphonique lors de l’acte de vente d’airtime.

Au-delà de simples programmes de fidélité, la fidélisation des agents passera aussi par une offre de services à forte valeur ajoutée. Pour cela, l’octroi
de crédits à conditions préférentielles constituera sans doute un outil puissant. En effet, les besoins en fonds de roulement entravent souvent l’activité
des agents (qui tendent à exercer parallèlement une activité de commerce). Les opérateurs de mobile money ont la capacité d’octroyer des crédits sur la
base d’un niveau de risque précisément documenté, grâce aux données d’activité des agents, à l’instar des dispositifs déployés pour les marchands par
Kopo Kopo en Afrique de l’Est ou de ce que proposent Equity Bank au Kenya ou Airtel Money en partenariat avec Jumo en Ouganda. Conjugués à d’autres services à valeur ajoutée (gestion des stocks, de commande, de facturation), ces solutions constitueront de réels leviers de fidélisation, incitant les agents à concentrer leurs transactions financières sur un même service.

La rémunération des agents demeure enfin un élément clé de leur motivation. Outre un plan de commissionnement attractif, les fournisseurs de services financiers digitaux pourront étudier les opportunités de générer des revenus additionnels pour leurs agents. Ainsi, les compétences et les outils acquis dans la distribution de services de mobile money pourraient faire l’objet d’une monétisation élargie : enregistrement de clients pour le compte d’acteurs tiers non concurrents grâce aux outils et procédures de souscription, points relais colis pour des services de vente à distance, etc.

1 Distribution 2.0: The future of mobile money agent distribution networks, GSMA 2018.

Le réseau d’agent n’est plus l’apanage des opérateurs


Certains opérateurs de transfert d’argent « over the counter » (OTC) ont bâti leurs propres réseaux d’agents indépendants. Au Sénégal, Wari est ainsi resté pendant plusieurs années le leader du marché du transfert d’argent domestique. Outre la simplicité de l’offre ou une tarification attractive, c’est surtout l’incroyable maillage commercial du territoire par Wari qui a longtemps freiné le développement des challengers locaux. Les banques ne sont pas en reste et adoptent des modèles d’agent banking : Equity Bank au Kenya ou encore le groupe Société Générale en Afrique francophone déploient ou projettent de déployer des réseaux d’agents indépendants à grande échelle.