Point de vue

Les actifs historiques du mobile money fragilisés par les nouveaux modèles

mer. 05 juin 2019

Les opérateurs de télécommunications ont bâti le succès du mobile money sur une série d’actifs différenciants. Longtemps, ils ont disposé d’un accès exclusif à ces ressources. L’impossibilité pour d’autres acteurs de les répliquer ou de les acquérir leur interdisait l’entrée du marché mobile money, ou réduisait significativement leurs chances de succès. Ainsi était-ce le cas des réseaux d’agents ou des interfaces USSD qui constituaient de robustes barrières à l’entrée.

L’émergence de technologies innovantes et l’évolution des conditions de marché ainsi que de certaines régulations ont largement fragilisé le caractère défensif de ces actifs.

L’usage de l’internet mobile est généralement limité sur les marchés de prédilection du mobile money. L'essentiel des transactions mobile money se fait toujours via le canal USSD dans la plupart des marchés.

Historiquement, les opérateurs de téléphonie mobile détiennent un accès monopolistique à ce canal. Ils peuvent en concéder l’usage à des tiers tout en conservant le contrôle et en fixant généralement les prix d’accès.

En outre, un acteur qui souhaite mettre à disposition de ses clients un applicatif USSD doit établir des partenariats avec chaque opérateur de télécommunications pour que ses clients puissent y accéder, quel que soit leur réseau mobile.

Ce monopole est aujourd’hui fragilisé. Au Kenya, Equity Bank a obtenu dès 2014 une licence de MVNO (Mobile Virtual Network Operator). Cette activité de télécommunications, opérée sous la marque Equitel, a permis à la banque de disposer de son propre canal USSD.

Au Sénégal, en avril 2018, l’Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes a libéralisé l’accès aux codes USSD, offrant ainsi aux fournisseurs de services à valeur ajoutée un accès agnostique (tout opérateur) au canal USSD.

L’USSD bientôt remplacé par les applications mobiles ?

L’usage du canal USSD est surtout menacé par l’adoption massive de l’internet mobile et des smartphones. La GSMA prévoit ainsi que le parc de smartphones représentera près de deux tiers des connexions mobiles d’ici 2025 en Afrique subsaharienne tandis que les connexions internet mobile représenteront près de 90 % de ces connexions1.

Ceci conduirait probablement les utilisateurs à délaisser l’USSD au profit d’applications mobiles qui apportent une meilleure expérience utilisateur et des fonctionnalités plus riches. À titre d’exemple, en Chine où l’usage de l’internet mobile s’est rapidement étendu, les paiements sont essentiellement réalisés via des applications mobiles.

Grâce à la technologie QR code (Quick Response code), celles-ci ont notamment permis de développer les usages du paiement marchand. En Afrique subsaharienne, certains acteurs innovants ne proposent désormais que des services financiers mobiles. C’est le cas du service de paiement mobile Wallet au Nigéria.

 

 

L’agent banking : quand les banques imitent le modèle de distribution du mobile money

Le réseau d’agents constitue un actif majeur du modèle opérationnel du mobile money. Certains analystes considèrent même qu’il constitue la principale « brique » de ce modèle, car il joue un rôle critique en permettant les transactions de dépôt et de retrait.

Il offre par ailleurs un avantage concurrentiel décisif aux services de mobile money : la proximité physique des agents, la flexibilité de leurs horaires ou encore le temps d’attente limité dans ces points de service rendent le mobile money sensiblement plus attractif que les services financiers traditionnels.

Pourtant, alors que cet actif était généralement considéré comme difficilement réplicable, des acteurs, autres que les opérateurs de télécommunications, se sont montrés capables de constituer de tels réseaux. Ainsi, dans plusieurs pays, certaines banques ont déployé leurs propres réseaux d’agents indépendants.

Sous ce modèle, dénommé agent banking, Cooperative Bank avait déployé plus de 12 000 agents au Kenya début 2017. Equity Bank en revendiquait plus de 25 000 à la même époque. En Afrique de l’Ouest, la Société Générale ambitionne de recruter 8 000 agents d’ici 2020, pour soutenir le développement de son service de mobile money Yup.

L’usage de l’internet mobile, porte d’entrée pour les nouveaux acteurs

Les opérateurs de télécommunications ont capitalisé sur leurs larges parcs clients pour développer l’usage et l’adoption des services de mobile money. Ils ont recruté l’essentiel des utilisateurs de ces services parmi leurs clients mobile, profitant d’« effets de parcs » massifs. L’accès privilégié à ces parcs a constitué un avantage significatif par rapport à d’autres fournisseurs de services financiers.

Néanmoins, d’autres acteurs digitaux disposent désormais de parcs d’utilisateurs conséquents dans les pays de prédilection du mobile money. Ainsi Facebook compte plus de 4 millions d’utilisateurs en Côte d’Ivoire, plus de 5 millions d’utilisateurs au Ghana et près de 20 millions d’utilisateurs au Nigéria2.

Parallèlement, l’accès aux données clients n’est plus l’apanage des seuls opérateurs. Ces derniers disposaient historiquement d’un accès exclusif à
de généreux gisements de données utilisateurs. Le développement des usages internet permet à d’autres acteurs de collecter à grande échelle de telles données.

1 GSMA, The Mobile Economy Sub Saharan Africa 2018.

2 We are social, Digital in 2018 in West Africa.

L’USSD c’est quoi ?
L’USSD (Unstructured Supplementary Service Data ou Données de Services Supplémentaires non Structurées) est une fonctionnalité de réseaux téléphoniques mobiles permettant l’envoi et la réception de données. Avec le plus simple des téléphones mobiles (99 % des téléphones sont compatibles), en saisissant une combinaison de type #000#, il est ainsi possible d’accéder à des choix textuels et donc à des services. Parce que les opérateurs ont un accès exclusif à l’USSD, ils ont toujours été en première ligne pour développer les usages dans le domaine du mobile money.