Lancé en 2012 à Lagos (Nigeria), Jumia est une société présente dans 14 pays. Ce leader de l’e-commerce, déclaré « première Licorne d’Afrique » par le Financial Times, a dû relever les mêmes défis que ses équivalents occidentaux (approvisionnement, logistique…) et ceux spécifiques au continent africain. Parmi ces défis particuliers : composer avec les moyens de paiements habituellement utilisés par les consommateurs.
Quel est le modèle économique de Jumia ?
Quand nous avons démarré, Jumia se positionnait comme un e-commerçant classique : nous achetions des produits que nous revendions. À partir de 2014,
nous avons opté pour un modèle de place de marché. Aujourd’hui, près de 90 % des ventes sont réalisées par nos partenaires. Notre place de marché propose de tout : mode, électroménager, hi-tech, épicerie… C’est aussi une plateforme de livraison de repas, de réservation d’hôtels ou de vols. Enfin, nous avons une plateforme « Jumia One », dédiée aux services digitaux tels que le paiement de factures (électricité, eau…), la recharge téléphonique, et bientôt l’édition de billets de cinéma.
Comment avez-vous abordé le sujet du paiement dans votre activité ?
Il y avait très peu de mobile money en Afrique quand nous nous sommes lancés en 2012, et la carte bancaire n’était pas une solution populaire et sécurisée.
Nous avons donc investi dans un outil opérationnel qui nous permet d’accepter du cash lors de la livraison des produits. Après une période d’adaptation, nous sommes arrivés à organiser les flux efficacement, notamment en construisant notre propre place de marché logistique qui nous permet de livrer en direct ou via un partenaire.
Le paiement en liquide n’a-t-il pas ses limites ?
Accepter du cash nous a permis de lancer notre activité. Mais les contraintes sont en effet nombreuses : le livreur doit avoir la monnaie, cela pose des questions de sécurité pendant le transport, puis il faut arriver à effectuer la réconciliation des flux financiers… Enfin, nous avons constaté qu’en proposant un paiement à la livraison, les clients ont tendance à changer d’avis plus facilement et refuser la commande. Le prépaiement est donc devenu une priorité.
Malheureusement, le marché des paiements est très fragmenté en Afrique. Par exemple, au Nigeria, il y a des cartes internationales, des cartes locales, du transfert bancaire instantané, du paiement en liquide en agence, etc. Nous avons donc mis en place une solution de paiement baptisée « JumiaPay » qui consolide au sein d’un seul compte tous les types de paiements afin de faciliter les achats.
Quels progrès doivent être réalisés pour faciliter le paiement en ligne ?
D’un point de vue technologique, il y a un effort d’uniformisation à faire. La plupart des acteurs dupaiement proposent des API pour se connecter à leurs systèmes qui ne sont pas les mêmes pour tous les pays. Cela nécessite des efforts de développement et d’intégration significatifs. Autre point d’amélioration : l’expérience utilisateur n’est pas très adaptée aux achats en ligne (sur un smartphone, il faut des allers-retours entre l’application
d’e-commerce, l’application de mobile money, les sms…). Certains pays sont plus en avance, notamment le Kenya où M-Pesa offre un système de paiement très simple pour l’ecommerce. Il en résulte d’ailleurs un plus fort taux de conversion des commandes. Nous travaillons aussi avec des agrégateurs pour les méthodes de paiement qui ne sont pas directement intégrées à JumiaPay. Dans ce domaine, les améliorations concernent le niveau de service, le temps de
résolution des incidents et la réconciliation des flux financiers. Il faut cependant noter que le marché est très jeune – beaucoup de ces acteurs n’ont que 2 ou 3 ans d’existence, c’est donc un secteur qui va gagner en maturité.
Les services de mobile money peuvent aussi ouvrir sur des services d’épargne ou de crédit. Quels peuvent être les impacts sur votre activité ?
Le crédit à la consommation est un service peu développé sur la plupart de nos marchés. Son arrivée va permettre de proposer de nouveaux produits et de faire croître le volume de notre activité. La société Mercado Libre, un équivalent de Jumia en Amérique Latine, fait ainsi plus de 60 % de son volume de vente sur du crédit consommation. Aujourd’hui, chez Jumia, nous sommes à 0 % ! C’est dire à quel point nous attendons le développement de ces solutions de crédit ! Cela implique qu’elles soient adaptées à l’e-commerce. Il existe déjà quelques options dans différents pays, mais avec des processus
administratifs très longs. Il est important de pouvoir gérer la signature électronique et une décision de crédit instantanée.
Un autre aspect du crédit est l’avance de paiement, côté marchand. Est-ce envisageable pour Jumia ?
Bien entendu. Nous proposons ce type de financement depuis plus d’un an au travers d’une place de marché de prêts aux PME accessible à nos seuls vendeurs. Le principe : nous collectons les données de nos vendeurs (volumes de vente, évaluations en termes de qualité de service, de délais de livraison, etc.) et nous les partageons avec des acteurs du crédit (banques, agences de microcrédit, institutions financières…) qui peuvent accorder un prêt de manière quasi instantanée. Nous avons déjà généré plus de 3 millions d’euros de crédits. Au début, l’initiative était complètement offline, désormais tout le processus est digitalisé : de l’onboarding à l’offre de crédit en passant par le processus de souscription. La prochaine étape est de digitaliser le paiement en automatisant le remboursement des mensualités sur les volumes de vente que nous versons aux vendeurs. Nous créons ainsi un cercle vertueux : cela permet à nos vendeurs de financer leurs besoins, d’investir dans plus de stock, d’achalander de nouvelles catégories de produits, et d’être prêts pour les grands événements commerciaux comme Noël ou le Black Friday.