Point de vue

Les jumeaux numériques dans l’exploitation des infrastructures Télécoms

dim. 11 sept. 2022

Le fait que le BIM soit mature aujourd'hui pour les besoins du BTP ne permet pas de répondre aux enjeux de maitrise et d'optimisation de la chaine de valeur des opérateurs de réseaux

Le jumeau numérique attire l'œil ! L'idéalisation de ce concept est d'avoir un modèle numérique reflétant un système réel, en temps réel, et de le doter de fonctionnalités automatisées de calculs, de prédictions, de gestion pour la commercialisation, le patrimoine, la maintenance… 

Ce concept est souvent associé à une représentation visuelle 3D (en référence au Building Information Modeling (BIM)), dont la transposition directe dans l’industrie Telecom peut soulever certaines questions métiers.

A l’origine, un modèle de visualisation 3D

Le modèle 3D BIM conçu pour les besoins du BTP permet de faciliter l'exploitation de systèmes complexes où beaucoup de maintenance est à envisager. Il est venu répondre à des problématiques de planification entre une multitude d'acteurs et d'harmonisation des informations sur des plans uniques partagés qui améliorent l'enchainement des différents corps de métier lors de chantiers de construction. Sur l'ensemble des phases de conception, construction et exploitation, il permet de centraliser la collecte d'informations indispensables pour les fonctions métiers de type énergétiques, calcul structurel, détections des conflits, respect des normes, du budget, des délais, planning d'interventions…

Ce modèle est-il adapté à un réseau ou à un parc d'infrastructures Telecom ?

La maitrise et l'optimisation de la chaine de valeur passent par une représentation digitale permettant l'automatisation de fonctions métiers, mais quelle représentation sera adaptée dans cet exercice d'optimisation de la gestion des infrastructures et la livraison des services réseaux ?

Un jumeau numérique est un modèle virtuel conçu pour refléter avec précision un objet ou un système physique. Le système étudié, par exemple une éolienne, est équipé de divers capteurs liés à des domaines de fonctionnalité vitaux. La précision s’applique ici aux paramètres vitaux sur la base desquels la représentation doit s'établir et être pensée pour permettre aux services de fonctionner (et non nécessairement uniquement aspect visuel).

Dans le secteur des télécoms, c'est une base de données des éléments de réseaux ou d'infrastructures avec leurs interconnexions et dépendances et les paramètres nécessaires aux pilotages des services et à leur évolution (construction, exploitation, maintenance, commercialisation, QoS)

La nature de la forme de représentation (visualisation 3D ou autre) doit être guidée non pas par les problématiques du BTP dont la représentation 3D est nécessaire mais bien par l'identification des fonctionnalités vitales à recueillir : quels paramètres des infrastructures actives et passives (résistance, température, capacité, consommation…) va-t-on devoir relever ? A quelle fréquence le faire pour permettre d'améliorer la construction, l'exploitation, la maintenance et la commercialisation des services réseaux et d’infrastructures ?

Exemple d’une tour télécom

Si nous prenons le cas d'une tour télécom, les informations vitales à qualifier peuvent être :

  • Corrosion
  • Inventaire des équipements
  • Emplacements disponibles
  • Charge
  • Consommation d'Energie
  • Accès/intrusion

Dès la conception des sites, nous pouvons anticiper les méthodes permettant de relever ces éléments de façon optimale. Le jumeau numérique peut être établi à partir des plans de conception d'un site qui sera ajouté, connecté à la maquette digitale du système. Il n'est pas nécessaire qu'une capture optique soit réalisée, ce qui est important c'est que le modèle reflète la réalité terrain dans les informations jugées vitales à la maitrise et l'optimisation de la gestion du réseau et des infrastructures.

Même si le site est déjà construit et que nous n'avons pas accès à des plans fiables, nous constatons que la capture d'images 3D et son post-traitement ne répond qu'à une petite partie du relevé de ces besoins "vitaux". Ceci est dû à la nature des informations à relever et à la capacité à les mesurer par traitement des images.

La capture d’image 3D ne permet pas encore de relever totalement les informations vitales

Aujourd'hui, la tendance pour le management des réseaux et parc d'infrastructures par les jumeaux numériques est de chercher à automatiser le relevé des éléments du réel et à la mise à jour des bases  par des captures optiques. Il offre une visualisation 3D virtuelle mais il alimente mal en informations les fonctions métiers vitales. Quels paramètres, par exemple, peuvent être tirés d'une photo pour être exploités dans une Note de Calculs ? Certains sans aucun doute, mais pas tous…

Les fonctionnalités actuelles de traitement d’images ne sont pas matures

Nous voyons des fonctionnalités de traitement d'images apparaitre permettant la détection automatique d'une partie des équipements (ex : antennes) ou de détection de la corrosion. Cependant, le relevé de ces quelques éléments par une prestation Drone et post-traitement est aujourd'hui partiel en plus d'être moins avantageux qu'un audit de 2 techniciens outillés pour le relevé des infos "vitales" par formulaire.

En général, les sociétés de capture et post-traitement proposent une prestation de drone ou de capture 360°, de post-traitement pour construire une visualisation 3D et des licences à des bibliothèques de fonctionnalités (peu développées et limitées par la nature des éléments à relever et la capacité à les déduire par du traitement d'images).

Une prestation drone sur un site de tour et son post-traitement coûtent aujourd'hui en moyenne plus de 1 000€ et le délai moyen pour cette prestation est d'environ une semaine. Il faut ajouter à cela, la combinaison capture/post-traitement qui ne permet pas de temps quasi-réel.

Entrer dans un processus d'alimentation du jumeau numérique à partir de capture drone, signifie que le jumeau numérique ne sera à jour qu'entre la capture et la prochaine modification du site (volontaire ou non).

Le sujet du "temps réel" et de (l'automatisation) de la mise à jour dans les SI, des inputs nécessaires aux fonctionnalités vitales…

Ici, le fantasme est l'évolution de l'état de santé du/des sites/réseaux en temps réel.

Les relevés sont plus simples sur les équipements actifs (remontées d'alarmes), cependant comment faire pour les équipements passifs ?

Sur certaines fonctionnalités, avec de l'IA, il est possible d'essayer de prédire l'évolution de l'état des infrastructures passives lorsque nous savons enregistrer un certain nombre d'états passés permettant d'alimenter des scénarii prédictifs. Cependant le coût d'acquisition des données peut être très élevé (ex : captures par drone répétées) pour envisager régulièrement des captures de l'ensemble des infrastructures.

Comment considérer les infrastructures passives dans les jumeaux numériques ?

Faut-il sélectionner des infrastructures passives dites sensibles et y opérer ces captures pour alimenter un jumeau numérique ? Ou peut-on penser que ce n'est pas la nature des structures passives qui sont par design réalisées pour tenir dans le temps et ne pas nécessiter cette idée de temps réel dans la mise à jour SI ou à une fréquence faible ? Et si la fréquence d'évolution des structures passives est grande, comment "l'activer" ?

Sur ce domaine, l'IoT est un secteur à regarder pour sélectionner le(s) bon(s) capteur(s) pour mesurer les informations vitales et les remonter au jumeau numérique.

Il y a quand même des cas qui peuvent être étudiés pour la capture optique et reconstruction 3D…

Cas des toitures terrasses

Sans remettre en cause la nécessité de cerner la nature des informations vitales à relever, une capture 360° de la toiture lors d'une visite technique dans la phase de conception a un coût plus faible (~500€). Cette capture permet d'avoir une maquette visuelle, de voir à tout moment le site, d'y faire des mesures de distances et des extractions automatiques de plans de terrasse.

Dans le cas où nous ne possédons pas de plans de l'existant, il peut être intéressant d'effectuer une campagne de capture optique. Les fonctionnalités de mesures de distances et de production de plans automatiques .dwg et .pdf sont matures.

Cas de diminution du nombre d’interventions pour obtenir des informations non présentes ou incohérentes dans le SI

Vérifier un numéro de série, les dimensions d'un emplacement libre pour de nouveaux équipements ou la présence d'une alimentation, la visite 3D de site permet d'éviter certains déplacements. Toute la question est de savoir si ces derniers ne sont pas marginaux dans l'exploitation du parc en fonction des infrastructures (nœud de raccordement optique, point de mutualisation, tours, chambres…) ? Faut-il refaire tout ou partie de la capture de la visualisation 3D du site lors de modifications du site (fréquences des modifications) ?

Cas de la représentation visuelle dans le processus de commercialisation : l’effet vitrine

Y-a-t-il une plus-value à proposer une visite virtuelle de sites techniques dans le processus de location des sites aux opérateurs ?

Pour toutes ces raisons, il est difficile de répliquer le BIM dans le secteur des télécommunications

Le fait que le BIM soit mature aujourd'hui pour les besoins du BTP, c'est à dire que des solutions existent et soient industrialisables, ne permet pas de répondre aux enjeux de maitrise et d'optimisation de la chaine de valeur des opérateurs de réseaux. L'utilisation de ces outils est trop coûteuse pour une valeur ajoutée encore indéterminée sur les besoins propres des fonctions métiers des réseaux télécoms.

Il est toutefois pertinent de continuer d'évaluer les progrès des méthodes de capture et de relevés des paramètres "vitaux" (IoT, capteurs sur Drones et post-traitements d'images) ainsi que leurs coûts. Certaines avancées dans les capteurs et les post-traitements pourraient amener à rentabiliser une prestation de capture ou une installation d'un système sur site (IoT), si elle répond à cette automatisation des relevés des paramètres "vitaux" et de mise à jour "automatisée" dans les SI.

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Clément Grégoire

Responsable du pôle Très Haut Débit