Point de vue

Défis du déploiement de la fibre FTTH en Afrique

mar. 18 oct. 2022

Diffuser un réseau THD à des coûts acceptables pour toutes les parties prenantes nécessite une réflexion sur la mise en œuvre d’une stratégie pérenne de conception-construction-exploitation-maintenance du réseau.

L’accélération de la connectivité en très haut débit est une priorité des gouvernements africains pour accélérer le développement économique et social. Pour les investisseurs, la tentation est grande de dupliquer le modèle européen : déployer à grande échelle des réseaux terrestres tout-fibre sans intégrer les spécificités de l’écosystème régional, ni les besoins particuliers des populations. Ce serait confondre vitesse et précipitation…

En Afrique, seuls 350 millions d’habitants sur 1,3 milliard ont accès à Internet. Nombreux sont les pays où la couverture FTTH/B reste inférieure à 1% ; ailleurs, elle dépasse rarement 10%[1]. L’accélération de la transformation numérique des pays est stratégique pour le développement des services (santé, éducation, paiements sécurisés, micro-crédits), de l’agriculture et des entreprises. Stimulés par l’arrivée d’un nouveau câble sous-marin panafricain très capacitaire, et le soutien financier de grands investisseurs internationaux publics et privés, les gouvernements et les opérateurs s’engagent dans le déploiement rapide de milliers de km de fibre. Cependant, imiter l’Europe dont l’ambition est de fibrer jusqu’à 100% de ses territoires, quelle que soit leur densité, suivant des processus industrialisés, n’est pas toujours pertinent dans le contexte territorial et économique africain.

Intégrer les problématiques locales et régionales pour s’assurer un retour sur investissement

La construction d’un réseau de fibre FTTH se chiffre en millions d’euros. La question du ROI est particulièrement sensible dans des pays aux moyens financiers contraints. Or, les déploiements réalisés « à la va-vite » se heurtent souvent à trois problématiques :

  • Une moindre optimisation des coûts d’investissement. Parfois, l’investisseur mise sur un réseau quasi tout-fibre où le trajet de son réseau n’est pas adapté au contexte local. En effet, pour limiter ses coûts, il est tenté de reproduire un déploiement standardisé à l’européenne sans considérer d’éventuelles mutualisations entre opérateurs (infra-sharing-FTTH). Alors que ces mutualisations permettent de couvrir des zones plus étendues, d’abaisser les coûts d’accès pour les utilisateurs et de stimuler la compétition dans l’offre de services.
  • Un déficit de qualité. Parce qu’il a été mal conçu ou mal posé, le réseau de fibre est exposé à des coupures ou des pannes fréquentes qui génèrent des OPEX pour l’opérateur et créent une forte insatisfaction client.
  • Des difficultés de commercialisation des services proposés. La capacité du câble est sous-exploitée parce que l’opérateur n’a pas pris compte les besoins des usagers locaux ni leurs capacités de financement. Dans les pays où l’ARPU est très faible, chaque demande - un réseau public pour les hôpitaux, une infrastructure rurale, l’extension de la fibre à de nouvelles zones résidentielles - pose des questions spécifiques qui requièrent une réponse sur-mesure.

Diffuser un réseau THD à des coûts acceptables pour toutes les parties prenantes nécessite une réflexion sur la mise en œuvre d’une stratégie pérenne de conception-construction-exploitation-maintenance du réseau.

Les 7 leviers pour s’inscrire dans une stratégie de déploiement efficace et rentable de la fibre en Afrique

1. Etudier, en amont, la technologie adaptée aux services indispensables sur chaque zone

Une solution technique combinant de la fibre FTTH sur certains tronçons, du réseau mobile 5G/4G sur d’autres, s’avère souvent plus pertinente et rentable qu’un déploiement tout-fibre. Il revient aux instances décisionnelles, dûment accompagnées par des experts, de se positionner au-dessus des directions « réseau fixe » et « réseau mobile » pour penser une couverture et un déploiement adaptés : étudier, sur chaque zone, les besoins et les usages existants ou attendus, comme les solutions de connectivité existantes ou à mettre en œuvre.

2. Mieux exploiter les infrastructures existantes et les possibilités d’un déploiement aérien

Lorsqu’elle est possible, la réutilisation d’infrastructures est envisageable à deux conditions :

  • Disposer d’une cartographie digitalisée décrivant la typologie (nature, capacité de charge…) et la géolocalisation des infras mobilisables (égouts, poteaux…). A défaut, on recherchera dans des archives ou sur le terrain les données nécessaires à l’optimisation de la conception (calcul de charge, de coût.
  • Intégrer au maximum ces infrastructures dans la conception du trajet de la fibre - même s’il semble plus simple de concevoir son propre trajet - pour limiter les coûts y compris environnementaux, les délais de déploiement et les problèmes de mutualisation.
  • Le déploiement aérien d’un réseau fibre est aussi envisageable : c’est une solution plus économique à court terme et plus rapide à mettre en œuvre.

3. S’appuyer sur des méthodes intelligentes de planification du déploiement de la fibre

Reposant sur des données à la fois techniques (estimation des coûts, contraintes de déploiement sur chaque zone), géographiques, sociologiques et environnementales (mesure de l’appétence du marché sur une zone définie), ces méthodes évaluent un ROI[2] zone par zone permettant de prioriser le déploiement. Elles s’appuient sur les apports de la data/IA.

4. Travailler sur les règles d’ingénierie pour optimiser les coûts

Des choix d’ingénierie et d’architecture réseaux (positionnement des Points de Mutualisation, des Points de Branchement, stratégie de traitement des prises isolées…) permettent de construire un réseau dont la qualité est adaptée aux services déployés. L’adaptation des règles d’ingénierie, dans des pays souvent dépourvus de règlementation et de standards, est un levier d’optimisation du modèle économique de déploiement.

5. Veiller à la qualité du déploiement des réseaux

Pour éviter des coupures de backbones enterrés à moins d’1 m de la surface du sol et autres aberrations pesant lourdement sur les coûts de maintenance, la sélection des fournisseurs est un enjeu crucial. L’opérateur a intérêt à s’appuyer sur des techniciens qualifiés et un expert indépendant en charge de la supervision de l’ensemble des travaux. C’est d’autant plus important que les promesses de la 5G sont étroitement liées à la qualité du déploiement de la fibre.

6. Etudier le degré d’externalisation nécessaire de l’exploitation du réseau fibre

La maintenance et la commercialisation du réseau fibre nécessitent un contrôle continu, chronophage et onéreux lorsqu’il est entièrement internalisé. L’opérateur peut solliciter des experts pour définir le modèle d’exploitation de son réseau et établir sa stratégie d’externalisation.

7. S’appuyer sur un intégrateur pour faire évoluer et optimiser les outils dans le temps

Les clients fibre doivent pouvoir commander leurs services de façon fluide et efficace. Un intégrateur expérimenté saura penser l’ensemble des briques (OSS, BSS, QoS, facturation…) nécessaires au bon fonctionnement et à la performance d’un SI solide. Il aide l’opérateur à mesurer sur la durée la qualité de son réseau jusqu’à l’utilisateur final et à le faire évoluer.

Conclusion

Contrairement aux idées reçues, les nouvelles technologies telles que la DATA-IA ou les outils de conception automatique des réseaux, ne sont pas synonymes de dépenses onéreuses. De nombreux retours d’expérience confirment une amélioration de performance . Elles offrent aux opérateurs, l’opportunité d’optimiser leurs CAPEX et leurs OPEX.

Le tout fibre et la 5G ne sont pas pertinents partout : de nombreux services très utilisés de paiement mobile et de M2M fonctionnent avec la 2G !  Il convient donc, de s’attarder sur les bons choix, en partant des enjeux locaux et de focaliser les efforts sur les services à forte valeur ajoutée

 

Ecrit par Clément Grégoire, Responsable du pôle Très Haut Débit, Sofrecom et Mohammad Diab, Chef de projet sénior réseaux, Sofrecom

 

[1] Source : IDATE. World FTTx markets. June 2022

[2] Return On Investment ou Retour sur Investissement