La révolution digitale modifie en profondeur l’économie et le monde du travail mais elle est avant tout une révolution culturelle et managériale. Pour survivre, les organisations s’adaptent et adaptent leurs modes de fonctionnement en s’appuyant à la fois sur l’innovation et l’agilité collective, définies par Orange comme l’orientation client, la coopération transverse et le développement de l’initiative.
Les transformations culturelles indispensables pour placer ces modes de fonctionnement au cœur des organisations, bien qu’impulsées par le top management et les directions des ressources humaines, s’appuient nécessairement sur le middle management.
L’attente de nouvelles compétences managériales
Le rôle du manager change et évolue. L’entreprise attend de lui de nouvelles compétences le rendant apte à diffuser une culture de l’innovation et de l’agilité :
- une posture d’ouverture par rapport aux enjeux d’innovation et d’agilité, à savoir mettre en pratique ces concepts à titre personnel, et par ailleurs faire preuve d’ouverture encourager la prise d’initiative, la collaboration transverse et la prise de risques,
- être en capacité d’impulser ces nouvelles pratiques et de faire naître des environnements capacitants au sein desquels :
- des « processus bien identifiés, conjugués à la créativité des personnes, permettront leur expression et leur transformation en innovation »
- on pourra « passer du « savoir-agir » aux « pouvoir-agir » et « vouloir-agir » afin de garantir une certaine agilité face à des situations inédites.
Cette évolution implique de dépasser la posture du manager prescripteur et expert technique, pour passer à une posture de coach, d’accompagnateur.
L’analyse des modes de fonctionnement d’entreprises libérées (Favi, Poult, Pixar, pour n’en citer que quelques-unes ) met en exergue des postures attendues du manager.
Il s’agit d’abord d’accueillir mais surtout de faire émerger la créativité en sollicitant tous les talents et en incitant chaque salarié à contribuer, en mettant en place des dispositifs, rituels, échanges propices à faire naître l’innovation. Cela suppose de faire confiance aux gens, de limiter les contrôles, pour libérer la parole, l’initiative et la prise de risques. Installer la confiance et responsabiliser ses collaborateurs, c’est être clair avec ce qu’on l’attend d’eux pour que chacun soit auteur et acteur de son épanouissement et de sa performance professionnelle. En cela le principe de subsidiarité, qui consiste à considérer que toute responsabilité doit être assumé par le niveau directement confronté à la problématique à résoudre, est essentiel et doit être poussé jusqu’au bout (la personne est responsable y compris de la résolution des erreurs qu’elle aura pu commettre).
Le digital décloisonne et supprime les silos, poussant le manager à partager, à adopter une attitude collaborative au sein de son équipes mais également avec d’autres entités via un travail en réseau (organisé en compétences) plutôt qu’en équipe (organisé en pouvoirs), et à travers une facilitation de la communication entre les différents niveaux hiérarchiques de l’entreprise.
Enfin, face à un environnement en constance mutation, la plus-value du manager résidera dans sa capacité à développer la réactivité des salariés, et à être réaliste en adressant d’abord les problématiques effectives plutôt que les potentiels problèmes.
Ce sont là des modes de fonctionnement nouveaux dans bien des entreprises, dont la mise en place requiert de la part des managers des compétences relationnelles plus riches que par le passé et une forte capacité à manager l’incertitude et l’ambiguïté. Selon Réal Jacob , le manager aujourd’hui a tout intérêt à être « T-shaped » : à la fois expert dans son domaine métier, et compétent sur la dimension relationnelle : négociation, coordination, empathie, capacité à valoriser la contribution de chacun, etc.
Les leviers d’évolution vers de nouveaux modèles de management
La question réside, dès lors, dans les leviers à disposition des organisations pour amener les managers présents et futurs, de tous niveaux d’expérience, à acquérir ou développer ces compétences et à s’inscrire dans ces nouveaux modèles.
Ces leviers sont encore en construction, mais on peut d’ores et déjà identifier trois démarches :
- La réflexion et l’analyse individuelle par les managers :
Pascale Fotius recommande notamment de « favoriser l’analyse des situations problèmes rencontrées par les managers, dans la perspective d’identifier les ressources pour agir collectivement sur tout ce qui limite leur travail de soutien et de régulation managériale (le management empêché) ».
Cette réflexion personnelle peut être impulsée par les Directions de Ressources Humaines (DRH), dont le rôle, aujourd’hui plus que jamais, est d’impulser et de soutenir les transformations. Au-delà des dispositifs collectifs de grande ampleur, c’est au travers des liens individuels que les RH entretiennent avec les managers, qu’ils seront en capacité de faire naître et d’accompagner cette réflexion. Dans cette optique, la capacité des managers à l’auto-réflexion, à la prise de recul, devient clé lors des recrutements et dans les référentiels managériaux, puisqu’elle est le socle de l’acquisition de toutes les autres compétences.
- Les échanges collectifs sur le sujet :
L’Anact souligne la nécessité de faire exister des espaces de discussion et de régulation sur le travail, et de « favoriser l’analyse des représentations par les acteurs concernés de ce qui empêche, ralentit, freine, accélère la réalisation des activités à l’appui des ressources individuelles, collectives et organisationnelles mises à leur disposition ».
Cette réflexion a tout intérêt à être menée à la fois de manière individuelle et collective. Cela peut se faire au travers, bien sûr, de formations, mais également d’ateliers de co-développement et de groupes d’échanges de pratiques, qui ont l’avantage d’être orientés sur la co-construction plutôt que sur la transmission.
D’autres leviers existent autour du retour d’expérience, comme le worklab d’Orange, qui analyse les nouveaux modes de travail et organise régulièrement des cafés-partage pour apporter des témoignages et inciter à la réflexion autour des initiatives prises dans les différentes géographies et entités du Groupe. On peut aisément imaginer des événements de ce type dédiés aux managers.
- L’expérimentation :
Elle est indispensable pour convaincre les managers du bien-fondé des nouvelles pratiques et leur donner les clés de concrétisation d’initiatives qui fonctionnent bien ailleurs. Les transformations se font en effet bien souvent en mode « test and learn ».
Les « learning expeditions » ou les « vis-ma-vie » sont dans cette optique tout à fait adaptées (les membres du Comex de L’Oréal ont ainsi participé à une immersion chez Google, Vente Privée, Amazon, Webedia).
De même est-il intéressant d’impliquer particulièrement les managers dans les programmes d’innovation salariés des entreprises (dans des rôles qui peuvent être variés), pour leur permettre d’appréhender et de s’approprier cette culture.
Donner aux managers les outils (humains ou pas) pour poursuivre et concrétiser au quotidien les réflexions qui naissent lors des échanges et expérimentations est essentiel. Des séances de réflexion « one-shot » n’ont que peu de chances d’aboutir : c’est une démarche qui s’inscrit dans la durée. Ainsi, le mentoring par un pair d’une autre entreprise peut être pertinent, ou encore l’accompagnement au quotidien par les DRH, coaches ou formateurs. Les groupes de pairs sont également tout à fait intéressants : Microsoft a mis en place des « communautés de managers » leur permettant d’expérimenter ensemble de nouvelles manières de faire. Enfin, des outils très concrets tels que la « boîte à outils » du Groupe Orange, qui apporte des fiches pratiques sur les nouveaux modes de fonctionnements (agilité par exemple) sont un secours précieux pour les managers, à qui on demande, finalement, de changer radicalement leurs modes de fonctionnement.
Le changement de posture attendu des managers et des salariés pour faire face à la révolution digitale est significatif. Il faut accepter que tous ne puissent pas entrer dans cet état d’esprit, et que cela demande du temps et un accompagnement dans la durée. L’effort demandé, qui pèse de manière plus significative sur les opérationnels, ne peut se faire sans une transformation au moins égale des fonctions supports et notamment des processus qu’elles mettent en place. Enfin, une analyse de l’organisation doit permettre d’identifier les équipes/entités plus stratégiques qui doivent se transformer en priorité, afin de laisser à d’autres équipes davantage de temps pour s’acculturer et accepter ce changement.