Point de vue

Peut-on se passer de fibre quand la 5G arrive demain ?

ven. 08 juin 2018

L’épidémie de COVID 19 a mis un coup d’arrêt aux tests et déploiements 5G dans de nombreux pays. L’écosystème nécessaire à son développement, que ce soit la production de smartphones 5G, d’équipements réseaux mais aussi l’attribution des licences, est actuellement en pause. Les effets de la crise sur l’économie mondiale pourraient également affecter tant les capacités d’investissement des opérateurs que des clients finaux.

Nicolas Jaupitre

La 5G promet des débits et une qualité de service pouvant rivaliser avec ceux uniquement offerts par la fibre optique jusqu’ici. A tel point que des opérateurs se demandent s’il est judicieux d’investir dans de coûteux et complexes déploiements de fibre alors que la 5G sera une réalité demain.

Est-il réaliste de préférer la 5G à la fibre ? Disponibilité, débit, qualité de service, mise en œuvre technique et monétisation de la 5G sont des éléments à comparer attentivement afin de définir la meilleure stratégie.

« Demain » n’est pas avant 2021 ou 2022 au mieux

Les déploiements de la 5G NSA (non-standalone) sont déjà engagés sur plusieurs villes ou territoires tests dans de nombreux pays. Mais il est important de garder en tête que les changements les plus drastiques n’arriveront qu’avec la version SA (standalone) de la 5G dont la normalisation par le 3GPP se poursuit. Un rapport de l’équipementier ENEA publié en Mars 2020 indique que moins de 50% des opérateurs prévoyaient de lancer la 5G standalone d’ici 2 ans. Rien à ce stade ne précise l’étendue des couvertures 5G lors de ces lancements.

Et ces estimations date d’avant la crise.

L’épidémie de COVID 19 a mis un coup d’arrêt aux tests et déploiements 5G dans de nombreux pays. L’écosystème nécessaire à son développement, que ce soit la production de smartphones 5G, d’équipements réseaux mais aussi l’attribution des licences, est actuellement en pause. Les effets de la crise sur l’économie mondiale pourraient également affecter tant les capacités d’investissement des opérateurs que des clients finaux.

Des débits très élevés… en théorie

La Fibre optique peut théoriquement proposer des débits de plusieurs Gbit/s (Gigabits par seconde): les débits commerciaux annoncés aujourd'hui varient majoritairement de 100 Mbit/s à 1 Gbit/s en réception et de 50 Mbit/s à 250 Mbit/s en émission. Contrairement à la paire de cuivre et aux technologies xDSL qui subissent une atténuation importante au bout de quelques kilomètres, le signal de la fibre optique ne décline presque pas avec la distance, ce qui permet aux opérateurs de garantir un débit minimum...

La 5G est la promesse de débits supérieurs au Gigabit, de latence réduite et d’une disponibilité élevée. De tests ont permis d’entrevoir ce que la réalité pourrait être : Qualcomm a pu atteindre un débit descendant médian de 1.4 Gbits/s pour du « browsing » ; Verizon et Ericsson ont quant à eux testé le téléchargement d’une vidéo 4K dans une voiture en mouvement et atteint des débits supérieurs à 6Gbit/s. Quant à la latence, elle pourrait théoriquement descendre à 1 ms.

On pourrait donc supposer que la 5G va largement dépasser les possibilités offertes par la Fibre optique. Il ne faut toutefois pas oublier que le débit en 5G, comme avec toute technologie radio, dépendra fortement de critères imposant une optimisation et une adaptation périodique du réseau comme le nombre d’utilisateurs sur la cellule à un instant T et la qualité du signal. Alors qu’il est possible de garantir des débits minimum en FTTH, il sera vraisemblablement difficile d’en faire autant sur la 5G. Les clients Entreprises pour lesquels les débits sont critiques, et qui n’ont pas absolument besoin de mobilité, préféreront donc toujours la fiabilité de la fibre.

Le maillage réseau existant ne suffira probablement pas pour la 5G

Un déploiement de fibre optique implique nécessairement des travaux de génie civil importants, longs et couteux. Ce critère seul pourrait faire préférer la 5G à la Fibre.

Cependant, les opérateurs ne savent pas encore de quelles fréquences ils disposeront. Avec des fréquences hautes, à faible portée, il faudra densifier significativement le réseau 5G pour atteindre les débits promis. Construction de nouvelles antennes ou déploiement de points hauts sont des travaux qui nécessitent des autorisations de plus en plus difficiles à obtenir de municipalités inquiètes de l’impact des ondes mobiles sur la santé. Paris par exemple a adopté en 2017 une charte visant à réduire de 30% les niveaux maximum de champs autorisés pour les antennes relais.

L’impact sur les coûts et les délais ne permet pas aujourd’hui d’affirmer que le business case est forcément en faveur de la 5G.

La 5G représente cependant  une alternative économiquement favorable et plus facilement activable là où la fibre n’est pas déployée : dans les zones suburbaines de certains pays ou pour des besoins temporaires des entreprises, sur les chantiers par exemple.

L’enjeu de la monétisation

Comme pour tout déploiement réseau et investissement important, la question de la monétisation se pose: Déployer de la 5G, oui mais pour quoi? Et pour qui?

Dès la fin 2019 la GSMA recensait plus de 100 terminaux compatibles 5G et le rythme s’accélère en 2020. Néanmoins, la majorité des terminaux du marché n’étant pas compatible, , il faudra que la commercialisation des forfaits 5G soit accompagnée d’un renouvellement massif des terminaux. Ceux-ci seront-ils proposés à un tarif suffisamment abordable pour convertir le plus grand nombre ou bien les opérateurs devront-ils les subventionner?

Quant aux usages, télécharger un film en quelques secondes ou jouer en ligne avec une latence quasi-imperceptible seront-ils des avantages suffisants pour convertir des utilisateurs qui bénéficient peut-être déjà de forfaits 4G suffisants pour leurs usages courants ? On peut douter de leur propension à payer plus pour une amélioration des usages peut-être peu tangible.

Dans le secteur B2B, on pense évidemment à l’IOT et aux voitures autonomes qui sont les deux promesses-phares de la 5G. Mais la valeur que les opérateurs peuvent espérer uniquement de la connectivité est faible. Au-delà de ces cas d’usage, on connait des applications pour lesquelles le débit et la faible latence du réseau sont essentiels : la vidéo conférence en est une, mais l’utilise-t-on fréquemment en mobilité? On pense aussi à des applications de réalité virtuelle accélérant l’intervention de techniciens sur le terrain ou des services permettant de partager et modifier en temps réel des photos ou plans avec des collaborateurs à distance. Ces services suffiront-ils à générer un volume d’affaires suffisant pour rentabiliser les investissements engagés et créer de la valeur pour l’opérateur?

La 5G livrera toutes ses promesses en la combinant avec la fibre optique

Même si la 5G est finalement choisie comme technologie d’accès au très haut débit, les antennes devront être progressivement raccordées en fibre optique pour assurer haut débit et faible latence jusqu’au cœur de réseau et ainsi garantir la qualité de service promise. La question du choix entre 5G et fibre optique ne se pose donc que sur le «last mile».

En conclusion, il ne s’agit pas ici de remettre en question l’intérêt de la 5G: cette technologie va permettre de nouveaux usages qui nécessitent de très hauts débits, de faibles latences et des qualités de services différentiées. Il ne faut cependant  pas croire que la 5G pourra répondre à tous les usages et remplacer partout la fibre optique comme technologie d’accès. Une stratégie réseau devra  ainsi prendre en compte les différents avantages et inconvénients de ces technologies, les besoins réels des populations et les potentiels de marché des diverses zones géographiques d’un pays pour les combiner astucieusement et obtenir le meilleur ratio «adéquation aux besoins clients/rentabilité» possible.