Point de vue

GAFA et BATX à la conquête des services financiers

mer. 05 juin 2019

Depuis plusieurs années, les GAFA1 et BATX2 ont investi les services financiers. Si leurs stratégies et leurs modèles diffèrent en fonction des géographies, ils ont bouleversé le secteur en moins de 5 ans. Ces acteurs issus de l’économie numérique et dont le succès ne faiblit pas occupent désormais une place importante sur ces marchés et continuent à innover.

Pays développés : du paiement mobile au financement des entreprises

Ces dernières années, les GAFA ont multiplié les initiatives autour des services financiers aux États-Unis et en Europe. Leur démarche a principalement consisté dans un premier temps à proposer de nouvelles solutions de paiement digital. Dès 2013, Amazon a lancé sa solution Amazon Pay permettant à ses clients de payer en ligne. L’année suivante, Apple Pay a été lancé pour payer avec son smartphone via la technologie sans contact NFC (Near-Field Communications). Google a, quant à lui, regroupé en 2018 sous la marque Google Pay l’ensemble de ses services de paiement (paiement mobile, porte-monnaie électronique, mobile money). L’approche est souvent la même, quel que soit l’acteur : simplifier au maximum l’expérience client et intégrer le paiement dans l’écosystème applicatif des géants du numérique.

De nouveaux services financiers ont ensuite été lancés bien souvent au travers de partenariats avec de grands acteurs bancaires. Amazon propose ainsi depuis 2014 des offres de financement à ses marchands. Le géant du e-commerce projette aussi de réaliser des partenariats avec de grands acteurs comme JP Morgan aux États-Unis afin de proposer une assurance-santé dédiée aux salariés. Apple a annoncé en mars 2018 le lancement aux États-Unis du service « Apple Card » adossé à Goldman Sachs et Mastercard.

Les intérêts stratégiques de ces acteurs divergent. En intégrant nativement des fonctionnalités de paiement dans ses terminaux, Apple cherche à enrichir la proposition de valeur de ses téléphones et à les rendre incontournables dans le quotidien des utilisateurs. Pour Google, l’accès aux transactions de paiement lui permet de collecter de nouvelles données à monétiser. La découverte de son alliance secrète avec MasterCard en septembre 2018 illustre l’enjeu de la « data » pour ce groupe. Ce partenariat permet ainsi à Google de lier les habitudes d’achat hors ligne des consommateurs aux publicités diffusées en ligne.

Pays émergents : des approches spécifiques pour répondre aux besoins locaux

Mais le terrain de jeu des GAFA ne se limite plus aux pays développés. Plusieurs démarches témoignent d’une volonté forte de s’implanter dans les pays émergents. En Inde, Google Pay compte déjà plus 20 millions d’utilisateurs. Initialement centré sur le paiement, Google cherche désormais à monétiser cette base utilisateurs et a déjà lancé une offre de prêts instantanés en partenariat avec 4 grandes banques indiennes – HDFC Bank, ICICI, Kotak Mahindra et Federal Bank.

Facebook confirme également sa position d’OTT (Over The Top) dans les services financiers, à travers la réalisation de premiers pilotes et partenariats avec des banques dans certains pays d’Afrique. Marc Zuckerberg lui-même a fait la promotion du nouvel assistant virtuel (chatbot) qui propose d’aider les clients à utiliser des services de paiement et gérer leurs opérations bancaires directement depuis Facebook Messenger. Ainsi les banques locales United Bank of Africa, Diamond Bank et Guaranty Trust Bank au Nigéria ont tenté l’aventure : elles acceptent désormais d’être « désintermédiées » en abandonnant la relation directe avec leurs clients à Facebook. Dans ce modèle, la banque devient le fournisseur du service bancaire, Facebook est alors le distributeur. Les ambitions de Facebook de répliquer ce modèle dans d’autres pays africains ou en Asie sont clairement affichées.

Les BATX, géants chinois, ne sont pas en reste et déploient des stratégies agressives d’expansion dans les services financiers.

Dans cette course à la diversification dans les services financiers, les géants digitaux chinois se montrent également très efficaces. Les BATX ont construit de véritables plateformes de services financiers qui rencontrent un succès commercial colossal en Chine et se développent rapidement à l’étranger.

Début 2019, le service Alipay, issu du géant de l’e-commerce Alibaba, comptait plus d’un milliard d’utilisateurs actifs dans le monde et plus de 40 millions de commerçants en Chine permettent un paiement via Alipay grâce à un QR code (Quick Response code). Il en est de même pour WeChat Pay qui a su capitaliser sur les utilisateurs de sa solution de messagerie instantanée.

Ant Financial, la maison mère d’Alipay, multiplie les partenariats à l’international pour développer l’acceptance d’Alipay et permettre aux touristes chinois de payer dans différents pays avec Alipay.

En parallèle, elle rachète ou investit depuis 2015 dans différents acteurs locaux tels que Paytm en Inde, Ascend Money en Thaïlande, Mynt aux Philippines ou Telenor Microfinance Bank au Pakistan. L’entreprise a même tenté en 2017 de racheter, sans succès, l’acteur américain MoneyGram. Ce rachat lui aurait notamment ouvert les portes des marchés africains.

Certains opérateurs de mobile money, à l’image du pionnier M-Pesa, anticipent l’arrivée de ces acteurs et préparent leur riposte. Safaricom a ainsi lancé,
via son laboratoire d’innovation, deux initiatives sur des modèles économiques différents :
• La première en 2017, Masoko, une plateforme d’e-commerce mettant en relation les vendeurs et les clients Safaricom. L’opérateur reprend les recettes des acteurs mondiaux tels qu’Amazon ou Alipay.
• La deuxième, dénommée Bonga, une application de messagerie instantanée sur laquelle les utilisateurs peuvent chatter, transférer de l’argent ou acheter en ligne auprès de commerçants indépendants. Elle intègre nativement les fonctionnalités de paiement de M-Pesa et semble fortement s’inspirer des méthodes qui ont fait le succès de WeChat Pay.

Les géants du web, GAFA comme BATX, affichent désormais clairement leur ambition d’étendre leurs activités et chiffre d’affaires dans les services financiers, notamment dans les pays en développement. En Afrique, les opérateurs de mobile money devront certainement faire évoluer leurs modèles pour résister à cette nouvelle concurrence.

1 Désigne les géants du web américains : Google, Apple, Facebook et Amazon.
2 Désigne les géants du web chinois : Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.